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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1253

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vertus privées que par son infatigable labeur. En intéressant à ses travaux, par leur universalité même, tous les peuples dont la civilisation est née du christianisme et de la tradition grecque et latine, Du Cange s’est fait dans l’Europe savante une sorte de royauté solitaire, exceptionnelle, que personne ne conteste, à laquelle on n’oppose aucun prétendant. L’Allemagne elle-même, si fière de sa patience et de son génie polyglotte et critique, reconnaît que sur ce point elle a été devancée ; l’Angleterre, à son tour, reconnaît qu’elle a été vaincue, en s’étonnant toutefois qu’une nation aussi égère que la nôtre ait produit un esprit aussi grave et aussi pénétrant que Du Gange. »


CHARLES LOUANDRE.


LA NEERLANDE ET VENISE (NEDERLAND EN VENETIE) par M. de Jonge, archiviste, du royaume[1]. — La Hollande offre de nombreux traits de ressemblance avec l’ancienne république de l’Adriatique ; Amsterdam s’enorgueillit du nom de Venise du Nord que les touristes et les poètes lui ont décerné. À Amsterdam, connue à Venise, le touriste est frappé par la quantité et l’étendue des canaux, par la splendeur de ces palais qu’une bourgeoisie opulente a élevés et qui cachent les trésors de plusieurs siècles. Cependant la ressemblance n’est pas purement extérieure. Sorties de la mer, les deux villes y ont grandi et ont tenu pendant quelque temps le sceptre de l’océan. Leur règne à la vérité ne fut pas long. L’ancienne énergie qui avait assuré leur indépendance s’était perdue avec l’éloignement du danger. Oubliant leur élément natal, de puissances maritimes elles s’étaient transformées en puissances territoriales, et s’engagèrent dans les questions qui agitaient le continent. L’esprit étroit et exclusif de l’oligarchie, qui dominait la noblesse vénitienne comme la bourgeoisie hollandaise, provoqua de fréquentes discordes civiles, et, affaiblies au dedans comme au dehors, les deux anciennes républiques furent la proie facile de la république française.

Le tableau des rapports politiques, commerciaux et littéraires de Venise et d’Amsterdam, tel que le retrace M. de Jonge, contient des détails d’un intérêt général. Il y a un moment dans l’histoire de Venise où l’esprit de révolte contre l’autorité papale, qui avait éclaté dans le monde catholique, fut sur le point de prendre possession de cette ville. Le feu mal éteint de révolte qui s’y était manifesté dès le commencement du XVIe siècle, s’y était rallumé avec une nouvelle force en 1606, lors de la mise en interdit prononcée par Paul V contre le pays et ses habitans. Tout le monde y lisait alors avec ardeur la Bible et les écrits des réformés. L’historien Paolo Sarpi atteste que des milliers de familles furent sur le point d’embrasser le protestantisme. Une vaste conspiration s’était organisée qui étendait ses ramifications sur le nord entier de l’Italie, et qui avait pour but l’introduction du culte réformé comme culte de l’état. M. de Jonge ne nous explique point par quelle voie le saint siège prévint ce nouveau danger et conserva la république dans la soumission ; mais il nous montre avec quel empressement les états-généraux saisirent cette occasion pour se rapprocher de Venise et lui offrir leur assistance. Les documens tirés des archives d’Oldenbarnevelt, qu’il publie à ce sujet, jettent une vive

  1. Un vol. in-8o ; La Haye, Belinfante frères, 1852.