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lumière sur les desseins du roi Henri IV pour réunir, dans une ligue contre la puissance de l’Espagne, les états protestans avec le nord de l’Italie, et sur la protection presque paternelle dont il entoura la république naissante des Pays-Bas. Philippe de Mornay joue un rôle important dans les négociations qui ont pour but de resserrer les liens entre les deux pays. Accueillies d’abord par le sénat de Venise avec sa réserve et sa circonspection ordinaires, elles aboutissent, à la fin de 1619, à un traité d’alliance conclu pour quinze ans, par lequel les deux républiques se promettent mutuellement un subside annuel en cas de guerre : le sénat de Venise commençait alors à s’alarmer des armemens du gouverneur de Naples, le duc d’Ossune ; mais lorsque plus tard les états-généraux exigèrent le paiement des subsides stipulés, le sénat y mettait d’abord de longs retards, puis le suspendait entièrement.

La conjuration de Venise de 1618 forme un épisode de l’histoire des négociations dont nous venons de parler. M. de Jonge rectifie l’opinion erronée que le comte Daru avait fait prévaloir sur cette conspiration. M. Daru, on le sait, accuse le gouvernement vénitien d’avoir été de connivence dans les projets du duc d’Ossune sur le trône de Naples. Pour dissimuler sa connivence au roi d’Espagne, ce gouvernement n’aurait pas hésité à faire le sacrifice gratuit de quelques centaines de victimes. On le voit au contraire, conclure un traité d’alliance avec les Pays-Bas, dont une clause prévoit expressément le cas où quelques galères ou navires de guerre étrangers entreront dans l’Adriatique ou dans le golfe de Venise, et dont il va éluder les dispositions dès que le danger sera passé. Il prend à son service un grand nombre de navires et deux corps néerlandais commandés par les comtes de Nassau et de Leuwensteyn. Déjà les recherches de M. Ranke[1] avaient établi cet important résultat. L’historien allemand soutient que le gouvernement vénitien ignorait entièrement les projets du duc d’Ossune sur le trône de Naples, et traite le récit du comte Daru de fiction romanesque, ce que confirment également les rapports faits par le consul néerlandais aux états-généraux sur la découverte de la conspiration.

La politique commerciale de Venise s’appuyait sur le monopole. La république admettait seulement ses propres navires et ses propres marins. Les marchandises importées sur des navires étrangers étaient d’abord frappées de droits élevés et ensuite entièrement prohibées. Les commerçans étrangers étaient soumis à des vexations de toute espèce. L’histoire de Venise ne contient pas la trace d’un seul traité de commerce conclu avec la France, l’Angleterre, l’Espagne, ni avec les Pays-Bas, dont les propositions fréquentes à ce sujet furent toujours éludées. Avec la Porte seule, Venise se trouvait liée par un traité qui lui garantissait les privilèges du trafic du Levant, le dernier refuge de son commerce. Ce ne fut qu’en 1735, quand Ancône et Trieste furent déclarées ports libres, que le sénat se décida à ouvrir le port aux navires étrangers ; mais cette mesure tardive ne pouvait plus le relever de l’état de décadence où il était tombé.

Dans l’intérêt de la navigation nationale, une loi défendait aux Vénitiens l’exportation par la voie de terre tant en Allemagne que dans les contrées

  1. Ueber die Verschwörung gegen Venedig im Jahre 1618, pages 31-124.