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des fois visité. « C’est bien cela ! » dit-il, et, pressant sa marche, il entra dans la ville du pas délibéré d’un homme qui vient de découvrir son Amérique. Le lendemain, il acheta le champ, d’oliviers et ses alentours au double de leur valeur, croyant faire un marché d’or ; puis il revint en France chercher sa petite fortune et commença de bâtir sa maison. Les constructions sont chères en Corse ; la main-d’œuvre y est hors de prix. Il dépensa là le plus clair de son patrimoine ; mais la maison était debout, triomphante, à vingt pas du rivage, ouvrant sur le golfe les trois fenêtres de sa façade neuve, et la petite embarcation qu’il avait amenée de Bastia balançait gracieusement son mât au milieu des branches de chêne vert.

Le voilà donc établi dans sa nouvelle patrie, et, plus heureux que bien d’autres, venu à bout du rêve de sa vie. L’hiver se passa au milieu des joies de sa conquête, un de ces hivers dorés comme on en voit en Corse. Quand vint le printemps, il s’étonna de voir que chacun dans la ville fit des préparatifs de départ. — Que se passe-t-il donc ? demanda-t-il. Est-ce que la ville déménage ?

— On va partir pour la montagne.

— Et pourquoi faire ?

— Pour fuir la fièvre. J’espère bien que vous viendrez avec nous.

— Moi quitter la Propriété (c’est le nom de son castel) ! vous me la donnez belle avec vos fièvres ! J’en ai vu de toutes les couleurs, moi ; elles ne m’ont pas fait broncher.

— À votre aise, monsieur !

Et la ville, suivie de ses bagages, se mit en route pour la montagne. Notre philosophe resta seul dans la Propriété, n’ayant pour voisins que quelques douaniers. L’été se passa. La fièvre respecta le courageux propriétaire, qui rit au nez des gens de la ville, quand l’automne les ramena au bord de la mer. Le second hiver continua les joies du premier ; seulement M. de X… put remarquer souvent, à l’ombre de ses oliviers, une jeune fille assez bien tournée, avec son mouchoir de couleur sur la tête. Elle brisait ça et là quelques branches de chêne ou d’olivier. M. de X… la pria poliment de cesser ses promenades, et lui défendit de toucher aux arbres de la Propriété. — Je ne fais point de mal, dit-elle. Et elle revint le lendemain rôder autour de l’enclos. Un soir même, elle entra dans la maison. M. de X… se fâcha et la mit dehors. Quelques jours après, en ouvrant sa porte, il trouva sur le seuil une lettre à son adresse ; il la lut et ne fut pas médiocrement étonné. « Monsieur, disait la lettre, je sais que vous êtes homme d’honneur. La petite J. m’a confié que vous l’avez séduite. Elle n’a pas voulu s’adresser à ses frères de peur d’exposer votre vie ; elle a préféré venir me trouver pour me prier d’accommoder cette affaire. Je vous écris donc la présente afin de vous engager