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— Mais enfin ?

— Enfin ! nous autres, voyez-vous, voilà notre juge de paix ! — Et il fit résonner sous sa large main le talon de son fusil.

Il est inutile de dire que la jeune fille ne revint pas se promener à l’ombre des oliviers de la Propriété ; mais l’été suivant, la fièvre fut moins polie que le bandit. M. de X… fut gravement atteint ; il résista grâce à un tempérament éprouvé par vingt ans de navigation. Cependant il fallut se résigner à aller passer la saison d’été à la ville. M. de X… prenait son mal en patience, quand nous l’avons connu, en attendant quelque nouvelle boutade de la fortune. Du reste, sans s’en apercevoir, il est devenu à peu près Corse ; il croit fermement à l’avenir du pays qu’il a adopté, et il y travaille, selon ses forces, avec toute la sagacité d’un esprit droit et tout le courage d’un bon citoyen. Nous étions donc le mieux du monde à Porto-Vecchio, et si les lits avaient été moins durs, les perdrix un peu moins frites, nous aurions pu y passer le reste de notre vie ; mais la destinée du voyageur est d’aller en avant, regrettant et se souvenant toujours.

Bourrasque était devenu, comme on le pense, notre compagnon inséparable, et il nous témoignait beaucoup d’attachement. Je me rappelle l’inquiétude que lui causa un jour ma disparition au milieu d’une partie de chasse. Vers la moitié de la journée, je m’étais laissé entraîner à poursuivre une bande de perdrix jusqu’au pied du Taglio-Rosso. Je rencontrai derrière un mur en pierre sèche un homme qui, après s’être informé, selon la coutume, de ce que je faisais dans le pays, me proposa de me conduire à un endroit voisin où je verrais des centaines de perdrix. J’eus la faiblesse de le suivre ; mais au lieu de me conduire à vingt minutes de là, il me fit faire tout simplement l’ascension du Taglio-Rosso. Quand nous fûmes arrivés au sommet, après une heure de marche au pas de course, nous trouvâmes en effet les perdrix promises, et je puis dire que jamais je n’en ai vu pulluler de la sorte. Elles partaient de tous les côtés, comme un bouquet de feu d’artifice, mais sur un terrain très difficile, au milieu de rochers chancelans, de buissons épais, si bien qu’à peine en tuai-je trois ou quatre en vingt coups de fusil. Le crépuscule m’engageait au retour. Je priai mon guide improvisé de me reconduire jusqu’à la ville. Il commença en effet à descendre avec moi les pentes de la montagne, puis tout à coup il s’arrêta et me dit en se grattant l’oreille : — Je suis bandit ; je voudrais bien vous accompagner plus loin, mais ce serait dangereux pour moi.

J’étais médiocrement satisfait, mais je sentis pourtant qu’il était inutile d’insister.

— Vous me donnerez, s’il vous plaît, quelques coups de poudre. Un pauvre bandit n’a guère de moyens de s’en procurer.