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deux chaînes de brisans à fleur d’eau. Le mouvement de surprise et d’admiration se fit entendre à bord de la corvette, quand, portés sur une dernière lame, nous eûmes doublé l’extrémité du récif. Java ni les Moluques n’ont rien qu’on puisse comparer à la majestueuse beauté du bassin qui s’ouvrait devant nous : un demi-cercle de montagnes encadrait dans un rideau de sombre verdure une baie calme et profonde. Reliée par un immense banc de madrépores à ce qu’on peut appeler la terre ferme, la petite île Lélé, dont nous rasions la côte, achevait gaiement vers le nord le contour de cette baie ; elle agitait au-dessus des eaux bleues le clair feuillage de ses palmiers et les touffes jaunes de ses pandanus. Des blocs de coraux et des prismes de basalte lui faisaient un rivage inaccessible aux flots de la mer. À l’abri de cette ceinture, qu’on eût prise pour l’œuvre des Pélasges ou des Cyclopes, s’épanouissaient, comme autant de fleurs dont un jonc flexible aurait rassemblé les tiges, mille bosquets dont les branches s’inclinaient jusqu’à terre. La brise qui faisait blanchir la crête des vagues en dehors de la baie ne pouvait traverser l’épaisseur de ces frais berceaux. Nos voiles étaient retombées le long des mâts, et nous glissions vers le fond de la rade, comptant sur un reste de vitesse pour atteindre aisément le mouillage. Quelques cases bientôt se montrèrent à travers les arbres ; nous nous écartâmes doucement de la rive, et la Bayonnaise laissa tomber l’ancre à moins de cinquante brasses du village de Lélé.

Depuis le passage de M. Duperrey, en 1824, et du capitaine Lutke, de la marine russe, en 1827, aucun navire de guerre n’avait, je crois, visité l’île Oualan : aucun du moins n’avait mouillé dans le havre Chabrol ; mais les navires qui poursuivent le cachalot au milieu des archipels situés sous l’équateur ne tardèrent point à fréquenter les ports découverts par M. Duperrey. Ils y trouvèrent du bois et de l’eau, les seules choses dont les baleiniers, toujours abondamment pourvus de vivres, aient souvent besoin de s’approvisionner ; ils y trouvèrent surtout, ce qui n’est point un médiocre avantage pour des bâtimens de commerce, une population douce et inoffensive. M. Duperrey n’avait vu entre les mains de ces insulaires aucune espèce d’armes. Séparés par une vaste étendue de mer des autres îles, dont ils ignoraient même l’existence, les habitans d’Oualan n’avaient jamais eu d’invasion étrangère à repousser : leurs pirogues ne s’éloignaient point des récifs. S’ils se livraient quelquefois à la pêche, c’était sans courir de dangers et sans déployer d’audace : aucun besoin réel ne les sollicitait à des courses aventureuses. Les arbres à pain et les cocotiers qui abondent dans l’île suffisaient amplement à leur nourriture ; les indigènes pouvaient y ajouter, à l’aide d’une culture peu laborieuse, l’igname, le taro, la banane et la canne à sucre.