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elle interdisait d’examiner quoi que ce fût en matière de religion ; fille d’une révolution qui ne reconnaissait à la royauté d’autre origine que le consentement populaire, le original compact, elle versait avec ardeur son or et son sang dans la cause de rois absolus dont elle niait le principe, et figurait, elle hérétique, en tête d’une alliance dont les premières formules étaient abominables à ses yeux. Ce qui se manifestait dans le monde de la politique et des grands évènemens, la société, depuis le haut jusqu’en bas de l’échelle, se chargeait partout de le reproduire, et l’on peut dire sans exagération aucune que la contradiction vous heurtait dans les châteaux comme dans les chaumières. Dans le pays le plus libre du monde, certains sujets étaient mis d’avance à l’index, et il y avait défense absolue d’essayer même de les aborder. « L’analyse du cœur, dit quelque part Walter Scott dans les papiers qu’il laissa après sa mort, — quels trésors on doit y trouver ! — mais je n’ose m’y aventurer ! » Et il avait raison, car du temps où il vivait, trois pages consacrées à sonder les mystères du cœur, à dire vrai sur ses passions, ses souffrances, ses joies, eussent suffi peut-être pour ternir sa renommée et pour faire parler de lui les yeux baissés. Le vrai ! pendant combien de temps a reculé devant ce fantôme le peuple anglais, ce peuple droit et loyal chez lequel un mensonge est la pire des infamies ! Où trouver le mot de cette énigme, si ce n’est dans la toute-puissance du cant ? Le faux était imposé sous peine d’excommunication, et les esprits qui trouvaient moyen de s’en arranger tombaient dans le niais ; de là cette longue suite de poètes et de romanciers à l’eau de rose dont la littérature anglaise s’est affadie depuis vingt ans.

À l’heure où nous sommes, tout est changé. Le cant, je ne crains pas de l’affirmer, est mort ; ce qui reparaît encore de lui n’est qu’une ombre capable seulement d’effrayer les gens faibles et superstitieux. Les Anglais d’aujourd’hui parlent de tout, discutent tout, laissent tout écrire, et commencent à comprendre l’injustice qu’ils se faisaient à eux-mêmes en craignant ce qui au fond ne pouvait leur nuire. Il y a vingt-trois ans, le plus grand poète que l’Angleterre ait eu depuis Shakspeare faillit être assommé par un homme qui, se faisant l’écho de la voix publique, l’appela « damné » et « mécréant. » Qu’on me cite à l’heure qu’il est dans les trois royaumes un homme ayant quelque valeur intellectuelle qui ne s’incline devant la victime du cant d’autrefois, de cet infortuné Shelley, mort sous la flétrissure publique, et de qui désormais procède plus ou moins tout ce qui, dans sa patrie, pense ou chante.

Ici une question se présente, et l’on se demande si de ce que l’Angleterre discute aujourd’hui bon nombre de choses qu’autrefois elle défendait de nommer, il s’ensuit qu’elle-même soit devenue de