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point d’ailleurs, Richelieu subissait l’influence de la tradition du moyen âge, qui posait comme un axiome de salut public ce précepte absolu : Une loi, un roi, une foi. Le grand ministre échoua dans cette tentative, et il se disposait à user de contrainte, quand la mort vint l’arrêter dans ses projets. Mazarin fut plus conciliant : il laissait chanter le peuple ; il laissa de même les huguenots discuter et se livrer sans entraves à leur ardeur ou plutôt à leur monomanie pour la controverse. « Le petit troupeau, disait-il, peut brouter de mauvaises herbes, pourvu qu’il ne s’égare pas. » Dès ce moment, le protestantisme, accepté comme croyance, entra dans une phase nouvelle. La plupart des hommes qu’il avait ralliés à ses doctrines appartenaient à la partie riche et active de la population, et le nombre en était considérable, puisqu’ils avaient dans le royaume plus de huit cents églises. Habitués depuis longtemps à une vie difficile et à la lutte, les protestans français appliquèrent à l’industrie et au grand commerce leur intelligence et leur activité, et il en résulta tout à coup dans notre pays un progrès extraordinaire, un mouvement d’affaires jusqu’alors inconnu.

Ici se place une question intéressante et qui n’a jamais été jusqu’ici résolue d’une manière complète : nous voulons parler de l’incontestable supériorité que les protestans du XVIIe siècle acquirent dans le commerce et l’industrie sur la population catholique. Il est pour nous très évident que, si les réformés perfectionnèrent la fabrication des étoffes et des tapis, l’art du teinturier, du tanneur, etc., cela ne tenait point à leurs doctrines, et il nous parait également fort difficile d’admettre qu’en fait d’intelligence ils se soient trouvés tout à coup, par le seul fait de leur séparation d’avec l’église romaine, beaucoup mieux partagés que leurs anciens coreligionnaires. Il faut donc chercher des causes plus positives et plus mondaines. Or ces causes, nous le pensons, tiennent avant tout à ce fait trop peu remarqué, qu’ils se trouvèrent complètement en dehors de l’ancienne constitution des corps d’arts et métiers, et qu’ils furent par cela même dégagés des entraves sans nombre que les statuts des corporations imposaient à ceux qui en faisaient partie. Par ces statuts, en effet, les procédés de fabrication étaient minutieusement réglés, ce qui rendait très difficile toute espèce de perfectionnement. Les heures de travail, l’emploi des matières premières, le nombre des ouvriers de chaque état, étaient réglés comme la fabrication, et les gens de métier se trouvaient par cela même emprisonnés dans la routine. Ils étaient de plus soumis à une foule d’impôts onéreux qui absorbaient une partie des profits du travail. L’association des capitaux et des bras était sévèrement interdite. Le chômage des fêtes, l’obligation d’assister aux honneurs du corps, c’est-à-dire aux noces, aux baptêmes, etc., la défense de travailler à la lumière, paralysaient les bras pendant une grande partie de l’année. Comme le remarque avec raison M. Weiss, les protestans travaillaient trois cent dix jours par an, tandis que Les catholiques ne travaillaient que deux cent soixante jours, ce qui assurait aux premiers la supériorité d’un sixième de temps par année de travail. Les statuts des corps de métiers, en imposant à leurs membres l’obligation d’être nés dans l’église catholique, avaient affranchi fatalement les réformés de toutes les charges qui pesaient sur les métiers ; libres de s’unir, par cela seul qu’ils étaient huguenots, ils réalisèrent les premiers en France