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l’association des bras et du capital ; ils formèrent les grandes entreprises des manufactures réunies, établirent le salaire proportionnel au travail, perfectionnèrent les procédés de fabrication, et se trouvèrent, en présence d’une législation qui datait du moyen âge, jouir de tous les bienfaits du régime moderne. Ils étaient arrivés à la liberté par l’exclusion, ils arrivèrent par la liberté à la fortune, et le dicton : Riche comme un protestant, fut bientôt populaire dans tout le royaume.

Vers 1660 cependant, une ère nouvelle commença pour les réformés français. L’esprit de persécution se réveilla dans le gouvernement, sans qu’aucun acte hostile eût provoqué de leur part la rigueur avec laquelle on les traitait. En 1662, Louis XIV fit raser vingt-deux temples dans le pays de Gex ; en 1664, il interdit aux réformés l’exercice d’une foule de professions, et comme on ne s’arrête jamais dans la violence, on aggrava chaque jour la rigueur des mesures cœrcitives. Les enfans, enlevés à leur famille, furent contraints, dès l’âge de sept ans, d’abjurer la croyance dans laquelle ils étaient nés. On supprima les pensions des officiers réformés et celles de leurs veuves ; on abolit les lettres de noblesse récemment accordées, et, comme si la violence ne suffisait pas, on eut recours à l’argent. En 1677, Louis XIV établit une caisse secrète alimentée par les droits régaliens, et dont les fonds furent appliqués à l’achat des consciences. Cette caisse était administrée par Pélisson ; l’argent était envoyé aux évêques, qui adressaient au roi les procès-verbaux d’abjuration et les quittances. Il en coûtait six livres par tête. Ce qu’il y a de plus étrange au milieu de tout cela, c’est que Louis XIV n’avait, à l’égard des protestans, aucune haine ; il croyait sincèrement travailler à leur bonheur tout en travaillant à son propre salut, et il recommandait sans cesse de les traiter avec douceur, il faut du reste reconnaître ce fait, que ce prince fut presque toujours trompé par ses agens ; qu’on lui expédia souvent de fausses dépêches, et que dans la généralité de Paris, qui se trouvait pour ainsi dire, plus près de ses yeux et de sa surveillance personnelle, la persécution fut beaucoup moins cruelle, il subissait d’ailleurs des influences fatales auxquelles son manque absolu d’instruction le rendait très accessible, et Mme de Maintenon, entre autres, pour qui l’histoire a été, ce nous semble, beaucoup trop indulgente, irritait sa dévotion, mal entendue et tout extérieure. Après s’être montrée longtemps conciliante, la petite-fille de d’Aubigné, la veuve de Scarron devenue reine, la calviniste devenue catholique, se jeta en vieillissant dans le prosélytisme avec cette dureté que développe souvent chez les femmes mêlées à de grandes intrigues politiques l’impérieuse faiblesse de leur sexe. Louvois, dont l’humeur s’accommodait de la violence, activa la persécution ; il y mêla du militaire suivant le mot de Mme de Caylus, et les dragons furent chargés de seconder les missionnaires, on ne sait que trop comment ils s’acquittèrent de cette tâche et par quels actes sauvages ils déshonorèrent leur titre de chrétiens et de soldats. Il y eut alors autour du roi comme une sorte de conspiration, d’une part pour lui cacher les cruautés exercées sur une partie de ses sujets, de l’autre pour lui faire croire que le miracle de la conversion s’était accompli dans tout le royaume. Trompé par de faux rapports et des abjurations arrachées par la contrainte et l’argent, Louis XIV se persuada qu’il avait à peu près complètement extirpé l’hérésie,