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de questions. Qu’avait-il vu ? que lui avait-on dit ? quel motif amenait sur les côtes de leur île ces puissans étrangers ? Vaine importunité : le roi George avait encore une fois perdu la parole. Il continuait à moduler son éternel murmure, semblable au bruit lointain des brisans sur la grève. Il avait vu ce que la langue polynésienne ne pouvait probablement décrire, et savourait intérieurement ses souvenirs. C’était mettre à forte épreuve la patience de sa royale compagne ; mais la douceur des femmes polynésiennes ne se dément jamais. La reine s’assit donc silencieusement en face de son époux et le contempla dans le muet ravissement d’une épouse soumise. Après un quart d’heure d’attente, son seigneur et maître parut revenir du royaume des esprits. Il raconta d’une voix lente et basse les merveilles qu’avaient contemplées ses yeux. — Le pont était couvert d’hommes ; il était descendu, il y avait des hommes encore. Le village de Lélé eût tenu tout entier dans ce bâtiment. Chaque chef avait sa maison, et en un seul jour on avait déployé devant lui plus de richesses que les baleiniers ne lui en avaient montré depuis sa naissance !

On devine l’effet que ces descriptions emphatiques devaient produire sur l’imagination de la reine. Il fallut que son époux consentît à la conduire le lendemain à bord de la corvette. Elle y vint accompagnée des femmes des principaux chefs. Vêtues, comme le roi l’était la veille, d’une chemise rayée qui ne voilait qu’à demi les bleus dessins de leur tatouage, les jambes entièrement nues, et ayant pour la plupart une pipe de terre bien noire passée dans le lobe inférieur de leur oreille gauche, ces dames portaient encore, comme aux jours où les virent les officiers de la Coquille, l’étroit maro tissé des fibres ligneuses du bananier et délicatement nuancé de couleurs indigènes. Elles étaient toutes d’une taille presque lilliputienne. La reine, déjà, sur le retour, avait un certain air de fée Urgande et rappelait avec sa petite figure ridée ces bonnes vieilles qu’un chevalier compatissant prenait jadis en croupe, et qui, d’un coup de baguette transformant au milieu de la nuit la chaumière en palais, se changeaient elles-mêmes en nymphes éblouissantes. Il y avait en vérité une distinction singulière dans la physionomie douce et étonnée, dans la voix surtout, mélodieuse et plaintive, de cette étrange créature. C’était une fleur complètement fanée, mais qui avait eu sans doute autrefois son parfum. Sans cette affreuse pipe suspendue à son oreille, je l’aurais volontiers comparée à ces roses qu’un savant a pressées dans son herbier, ou qu’un amant oublieux a laissé se flétrir dans son portefeuille. Malheureusement cette petite reine était horriblement cagneuse. Cette difformité semblait d’ailleurs commune à la plupart des dames de la cour. Les femmes