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plus en plus attirée dans les voies nouvelles où elle a marché jusqu’à ce jour avec des chances diverses et à travers bien des transformations. À chaque guerre qui éclata en Europe, la France dut concentrer toute son action sur le continent, quitte à abandonner momentanément le soin de ses colonies, ce qui arriva trop souvent, comme on le verra en étudiant l’histoire du Canada. François Ier n’eut ni le loisir ni le pouvoir de soutenir les établissemens d’outre-mer, qu’il encouragea toutefois à diverses reprises. Plus heureux que lui, Richelieu, qui avait eu la joie de voir la maison d’Autriche abaissée, songea à l’élever du même coup la marine, le commerce et les colonies, qui sont une seule et même chose. Après Richelieu, Louis XIV, tout glorieux que fut son règne et même à cause de son éclat, ne sut pas maintenir à ces possessions d’outre-mer la prospérité qu’il leur avait d’abord assurée. Il détourna la France des expéditions lointaines en fournissant un aliment plus prochain à ses ambitions et à son ardeur guerrière ; enfin, en l’entraînant dans une guerre ruineuse, mais gigantesque, il lui révéla le secret de ses destinées. La nation française, si prompte à s’élever à la hauteur des grands hommes qui la gouvernent, ne renonça point à l’idée de dominer sur l’Europe. Le faible gouvernement qui laissa la France s’allanguir au milieu du XVIIIe siècle acheva la destruction des colonies, qui avaient cessé d’occuper l’esprit public, si ce n’est par intervalles, et pour la ruine du plus grand nombre. Sous le règne de Louis XV, le Canada nous fut définitivement enlevé ; de braves colons, que n’avait point atteints la démoralisation générale et qui avaient si bien mérité de leur pays, perdirent leur nationalité. Séparés à jamais de leur patrie, ils en ont conservé un pieux souvenir, ils en ont obstinément gardé la langue, les traditions et même l’esprit. Récemment même a paru à Québec une histoire complète du Canada, écrite dans notre langue et empreinte de ce sentiment de sympathie filiale pour la France. C’est ce livre curieux à tous égards et plein de documens précieux qui nous fournit le sujet de cette étude. Il ne peut manquer d’être lu avidement par les voyageurs, assez nombreux aujourd’hui, qui visitent les bords du Saint-Laurent. Ceux qui ne connaissent ni le Canada ni ses habitans ne pourront se défendre, nous l’espérons, de ressentir de l’affection et du respect pour ce petit peuple soumis à de si rudes épreuves, et qui, séparé de nous par des événemens sur lesquels il n’y a plus à revenir, témoigne de la vitalité de notre nation dans le Nouveau-Monde, comme aussi de son aptitude à s’implanter sur un sol étranger.


I

L’histoire de nos établissemens au Canada s’ouvre par une double lutte des hardis émigrans qui s’y installent, d’une part contre l’indifférence