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réformée, qui ne s’inspirât du passé ni par le cœur ni par l’esprit.

Quoique abandonné par la cour de France, le Canada était toujours visité par nos pêcheurs. En 1578, à Terre-Neuve seulement il vint cent cinquante navires français. Deux neveux de Cartier, héritiers des privilèges accordés auparavant à celui-ci, se livraient au commerce des pelleteries sur les bords du Saint-Laurent et de ses affluens. Ces privilèges furent révoqués vingt années plus tard ; le gouvernement de Henri III conféra au marquis de La Roche, gentilhomme breton, la charge de lieutenant-général du Canada, de l’Acadie et des îles adjacentes. C’est de cette époque, 1598, que date l’organisation permanente du pays qui reçut plus tard le nom de Nouvelle-France. Aussi, sous le règne de Henri IV, le commerce des pelleteries prit-il une extension considérable au Canada. Le capitaine Champlain, qui a légué son nom à l’un des plus gracieux lacs de l’Amérique, remonta le Saint-Laurent à la tête d’une flottille composée de barques de douze à quinze tonneaux, frayant ainsi la route aux voyageurs qui devaient un jour explorer les profondeurs de ce grand continent aussi loin qu’ils trouveraient un ruisseau capable de porter leurs pirogues. Deux vaisseaux chargés d’émigrans catholiques et huguenots, partis du Havre en 1604, arrivèrent en Acadie sous la conduite de M. de Monts, gentilhomme de Saintonge. L’Acadie, fréquentée par les traitans, passait pour le plus beau pays de la Nouvelle-France. On y trouvait d’excellens ports, un climat tempéré, un sol fertile dans l’intérieur, et sur la côte une grande quantité de poissons, la morue, le saumon, le hareng, le maquereau, l’alose, le phoque et la baleine. Les Micmacs ou Souriquois, indigènes de la contrée, se faisaient remarquer par leur bravoure et aussi par la douceur de leurs mœurs ; ils accueillaient les Français avec une bienveillance qui ne s’est jamais démentie. Enfin l’Acadie avait sur le Canada ce précieux avantage, que les vaisseaux pouvaient y aborder en toute saison. Après avoir visité la côte jusqu’au cap Cod (près de Boston), les colons vinrent fonder la ville de Port-Royal, aujourd’hui Annapolis. Jusque-là les émigrans ne s’étaient point occupés de défricher les terres. Lescarbot, à qui l’on doit, de si excellens mémoires sur la colonisation de l’Acadie, fit enfin comprendre à ses compagnons que la culture de la terre était la seule garantie du succès de leur entreprise. Par ses paroles et surtout par ses exemples, il entraîna les colons ; ceux-ci firent du charbon de bois pour lutter contre les rigueurs de l’hiver ; ils ouvrirent des routes, dressèrent des fourneaux et des alambics pour clarifier la gomme du sapin et en tirer le goudron, et les Indiens, émerveillés de ces simples travaux d’un peuple civilisé, s’écriaient avec admiration : « Oh ! les Normands savent bien des choses ! » Sur ces entrefaites, les Hollandais de la Nouvelle-York, poussés par un sentiment de jalousie et de convoitise, attaquèrent à