sans être munis de ce secours et de cette garantie. Il en résulte que, bien qu’il fasse encore jour, comme le soleil est couché depuis dix minutes, nous emploierons la nuit à nous promener en vue de la ville. S’il s’agissait d’entrer dans un port des États-Unis, les choses ne se passeraient pas ainsi ; mais nous avons quitté le pays de la liberté et de l’audace, nous sommes retombés sous l’empire des règlemens. Du reste, la nuit est superbe, l’air d’une extrême douceur ; mais il est impatientant d’aller et de venir en présence du phare pendant douze heures, comme un soldâtes faction marche devant sa guérite.
31 janvier.
Nous entrons de grand matin dans cette rade de la Havane, qu’on dit la plus belle rade fermée du monde. En effet, elle s’enfonce au pied des collines qui la dominent, et va tourner derrière la ville, présentant ainsi l’abri le plus parfait qu’on puisse imaginer. Ces collines sont verdoyantes, tapissées de fleurs jaunes ; en quelques endroits, des groupes de palmiers s’inclinent sur leurs flancs. À droite, la ville s’étale avec ses maisons blanches ou colorées et ses quais magnifiques. Une petite barque nous porte à terre. À peine débarqué sous un immense hangar, qui s’étend sur tout l’emplacement où s’opère le chargement et le déchargement des navires et qui avertit des ardeurs du climat, je me trouve au milieu d’une cohue bruyante, dans laquelle domine la population de couleur. Ces hommes à demi nus font voir des épaules, des bras et des poitrines qui sont souvent d’une grande beauté de forme ; on dirait des statues vivantes d’ébène ou de bronze. Leur travail s’exécute au milieu des cris, des rires et des chants ; ils jouent et se culbutent comme des singes. Une singularité me frappe : durant cinq mois que j’ai passés aux États-Unis, je ne me souviens pas d’avoir entendu un seul ouvrier chanter en travaillant. Le peuple américain est trop sérieux et trop appliqué pour se donner ce genre de distraction. Sur la terre des hommes libres, tout s’accomplissait en silence. Voici des esclaves, et ils chantent. Certes je n’en conclurai pas qu’ils sont plus heureux ; incontestablement ils sont plus gais, mais la gaieté n’est pas le bonheur. Je trouve aussi des oisifs, des gens qui regardent travailler et ne travaillent pas, des flâneurs, ce qui est rare en Angleterre et inconnu aux États-Unis.
La Havane offre cette particularité, qu’elle a l’aspect d’une ville espagnole avec un mouvement commercial qui rappelle les villes des États-Unis. Après avoir remarqué en passant cette scène animée, nous entrons dans des rues en général assez étroites, bordées de maisons de pierre, ce qui m’est nouveau et agréable. Mes yeux commençaient à se lasser de cette éternelle ville à larges rues, se prolongeant entre