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prendre cette somme en à-compte, et de cent piastres en cent piastres données successivement, ils arrivent à se racheter. Ils ont un syndic chargé de défendre leurs intérêts. S’ils sont mécontens de leur maître, on leur permet de le quitter, et le maître doit leur donner une licence de trois jours pour en chercher un autre. Comment le préjugé de la couleur, qui existe cependant, serait-il aussi absolu à Cuba qu’aux États-Unis, quand les mélanges sont bien plus fréquens ? On me dit que beaucoup de familles blanches ont du sang noir dans les veines. Aux États-Unis, rien ne ferait admettre dans la société un homme d’origine africaine ; ici on ferme souvent les yeux sur cette origine, on peut même, en payant une certaine somme, être déclaré blanc ou du moins être autorisé à passer pour blanc, ce qui quelquefois n’empêche pas d’avoir un teint qui ailleurs serait désigné par une tout autre épithète.

On m’a raconté l’histoire d’une négresse esclave qui, s’étant rachetée, est retournée dans son pays, Elle était propre tante du roi de sa nation ; malgré tous les avantages de cette situation, elle n’a pu s’en accommoder. La grossièreté, la cruauté de son peuple, l’ont révoltée ; elle a voulu parler religion, on ne l’a point écoutée, et elle est revenue à la Havane.


4 février.

J’ai retrouvé le charme de la vie méridionale, de cette existence au dehors, en plein air, dans laquelle c’est un bonheur constant de voir et de respirer. Le matin, je me lève avant le soleil ; je monte sur la terrasse à plusieurs compartimens qui forme au-dessus de la maison que j’habite une véritable promenade. Toutes les autres maisons ont une terrasse du même genre, comme dans les villes d’Orient. Nulle part autour de moi ces tristes toits pointus de Paris ou de Londres. Je jouis de la rapide fraîcheur du matin : puis le soleil se lève derrière une église à demi ruinée, lui venant des États-Unis, on n’est pas fâché de trouver quelque chose qui ressemble à une ruine. Le lever du soleil est admirable, mais il dure peu ; c’est l’inconvénient des tropiques. Je ne puis m’empêcher de regretter mes beaux levers de soleil de Sorrente, quand, sur une terrasse assez semblable à celle-ci, je contemplais les teintes innombrables qui se succédaient longtemps dans le ciel et les nuances variées dont se teignaient tour à tour les îles, le Vésuve et la mer. Je descends ensuite pour aller rôder par la ville avant que la chaleur du jour se fasse sentir. J’entre çà et là dans une cour ou dans un cloître remplis de fleurs et de lianes, où s’élèvent quelques touffes de bananiers au puissant feuillage. Je vais visiter chaque jour le marché aux poissons. C’est en général un lieu peu attirant. Que de fois j’ai maudit celui qui, à Rome, déshonore le portique d’Octavie ! Mais ici les poissons, étincelant