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des plus vives couleurs, rouges, roses, verts, dorés, donnent aux yeux un éblouissant spectacle. Je m’assieds sous un arbre du côté de la rade ; je vois les bâtimens franchir son étroite entrée, passer sous le fort et glisser, les voiles tendues, au pied des collines qui élèvent en face de la ville leurs pentes vertes couronnées de palmiers. Je fais ensuite quelques visites à des Havanais de conditions diverses, et je recueille partout l’expression d’un mécontentement universel contre l’Espagne. Je vais souvent terminer la matinée à la chancellerie, où je prends des notes dans les journaux de l’île et les documens que M. d’Hauterive, notre consul général, veut bien m’indiquer, ou, ce qui vaut encore mieux, dans sa conversation instructive et animée. Je reviens dîner à l’hôtel ; je trouve un dîner français, une table d’hôte française. Le dîner est assez bon et se prolonge raisonnablement ; puis mes compagnons de voyage et moi nous sortons pour aller à l’Alameda, munis de cigares du cru, voir les dames passer en volantes et fuir à nos regards comme de beaux oiseaux des tropiques. Le soleil se couche trop vite, mais magnifique, en coup de foudre, et laissant après lui dans le ciel ces teintes ineffables que ne connaissent point nos pâles climats. Les premières étoiles apparaissent sur un fond couleur de fleur de pêcher ou d’améthyste. Après les nuances violacées se montrent le rose, le blanc, l’oranger, et tout à coup la nuit s’abat sur la ville. On revient alors par la promenade d’été, maintenant déserte, car il ne faut pas oublier que nous sommes en hiver et qu’on le dit cette année fort rigoureux. Il est vrai qu’au mois de janvier nous n’avons ici que la température de notre mois de juillet.

Cette promenade, qui longe la rade, est délicieuse. La lune se lève ; les navires se détachent en noir au sein de la blancheur incomparable qu’elle répand sur les collines et sur les eaux. De ce calme, de ce silence nous passons au bruit, au joyeux tumulte d’un immense café où l’on se réunit pour prendre des glaces. L’absence de cafés attriste singulièrement pour un Français les villes anglaises et américaines. En sortant, il m’arrive de retourner seul sur la petite place si remplie tout à l’heure et où je ne trouve plus d’autre compagnie que les palmiers et les eaux qui jaillissent solitaires. Je m’abreuve de la fraîcheur, de la suavité de la nuit. Je ne puis détacher mes regards de ce ciel qui semble envelopper la terre avec amour ; je ne me lasse point de contempler la nuit brillante, comme a dit Louis Racine d’après Homère :

Nuit ballante, dis-nous qui t’a donné tes voiles !

Je m’écrie comme lord Byron : « Non, belle nuit, tu n’es pas faite pour le sommeil ! » Et tout en disant cela je rentre pour me coucher ; mais ce n’est qu’après être monté encore sur la terrasse afin de me