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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/35

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l’une après l’autre comme une fusillade ; le gong déchira l’air de son aigre tocsin, et Ayo, souriant au milieu de cette pluie de feu, calme au milieu de ce vacarme, nous adressa de la main ses derniers tchin-tchins. Peu à peu le bruit s’éteignit, la fumée se dissipa, et le plus honnête Chinois que nous eussions connu fit voile vers Macao.

Les navires de guerre qui, venus en Chine par le cap de Bonne-Espérance, avaient reçu, comme la Bayonnaise, l’ordre de doubler le cap Horn pour rentrer en Europe, avaient suivi une route bien différente de celle qui nous était tracée. Ils avaient tous passé au sud de la Nouvelle-Hollande ou de la terre de Van-Diémen. Pour nous, qui avions la mission de toucher aux îles Sandwich, c’était dans les régions moyennes de l’hémisphère septentrional, par 34 ou 35 degrés de latitude, que nous devions aller chercher les vents variables. Nous ne pûmes atteindre le passage des Bashis qu’après plusieurs jours d’une laborieuse navigation. Des calmes d’abord, puis bientôt de violens vents d’est retardèrent notre marche. Enfin, le 16 mai dans la soirée, nous parvînmes à sortir de la mer de Chine. Notre manœuvre ne pouvait plus être douteuse. Il fallait nous hâter de gagner les côtes du Japon. C’était là que nous attendaient probablement les vents d’ouest. Nous savions que nous allions traverser des parages peu connus, mais nous étions loin de nous promettre l’émotion d’une découverte.

Le 31 mai, vers quatre heures du matin, nous n’étions plus qu’à quatre-vingts lieues environ de Jédo, cette immense capitale d’un mystérieux empire, quand on vint m’annoncer qu’on croyait apercevoir la terre devant nous. Cette nouvelle était loin de cadrer avec mes calculs, et je crus à une illusion. Je montai cependant sur le pont, et je vis en effet, à quelques milles de la corvette, cinq ou six sommets aigus autour desquels paraissaient voler des milliers d’oiseaux. Je relis mes calculs, je consultai la carte ; il n’y avait plus à en douter, nous avions découvert une île. Comme de vieux époux qui ont longtemps attendu un héritier et dont le ciel couronne enfin les vœux, nous nous trouvions pris au dépourvu ; nous n’avions pas de nom préparé pour l’enfant que nous envoyait la Providence. Fallait-il l’appeler l’île de la Bayonnaise ? Fallait-il attacher à sa venue en ce monde un souvenir emprunté aux péripéties de notre campagne ? La brise était fraîche, et nous approchions rapidement de notre île. Ses sommets cependant tardaient bien à grandir. Les premiers rayons du soleil portèrent un coup fatal à nos illusions. C’était l’éternelle histoire des bâtons flottans. Notre île n’était qu’une longue chaîne de roches, dont le sommet le plus élevé avait à peine six mètres de hauteur. Nous pouvions remercier le ciel que la nuit n’eût