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grande crise, le dénoûment suprême. — Mais quoi qu’il arrive aujourd’hui, après la durée déjà trop prolongée de ces graves complications, ce qui n’est point douteux, c’est qu’on ne saurait trop se hâter de faire cesser un état qui a presque tous les inconvéniens des situations tranchées sans en avoir les avantages, et où les intérêts de toute sorte s’allanguissent dans l’incertitude. Autrefois, lorsque les relations du commerce étaient moins nombreuses, lorsque la civilisation n’avait pas le caractère industriel qu’elle a pris de notre temps, lorsque la solidarité de tous les intérêts était moins intime et moins forte, une guerre ou une menace de guerre ne pouvait pas avoir une aussi prompte, une aussi désastreuse influence. Aujourd’hui tout s’arrête, tout est suspendu, les entreprises n’oseraient braver les chances d’un avenir si peu assuré ; la stagnation d’une industrie se communique à l’autre ; le développement de tous les pays est atteint dans son essence, dans ses premiers élémens. Nous ne savons s’il n’est point dans la politique de la Russie de prolonger cet état ; dans tous les cas ce ne peut être la politique de la France et de l’Angleterre, d’autant plus que l’une et l’autre auraient bientôt perdu en richesse matérielle, en production, en valeurs industrielles, ce que la Russie, par la nature même de sa civilisation, ne peut pas perdre, — et c’est en quoi, sans qu’on le remarque, la lutte n’est point égale, c’est l’intérêt de l’Angleterre et de la France de ne plus laisser cette incertitude peser sur l’Europe ; c’est encore plus l’intérêt de la Turquie, qui épuise ses ressources en armemens peut-être inutiles, et qui finira par avoir dépensé autant que pour une guerre réelle. Faut-il croire cependant qu’il s’est élevé quelque divergence dans le cabinet anglais au moment de prendre une décision, qu’il y a eu le parti des résolutions hardies et le parti de la temporisation ? on le dit, et on ajoute même que le chef du cabinet, lord Aberdeen, aurait un instant donné sa démission. Au fond, ce qui résulte de plus clair des déclarations récentes de lord Palmerston dans le parlement, c’est que ces divergences ne portaient pas sur le principe de la communauté d’action avec la France, puisque l’union des deux gouvernemens est attestée en termes des plus explicites. Or c’est cette union qui reste le moyen le plus efficace pour faire cesser toutes les obscurités de la situation actuelle, et pour décider promptement s’il faut que l’Europe songe à la défense d’un intérêt universel, ou si elle peut se rejeter avec sécurité vers tous les travaux de la paix, un moment interrompus ou du moins paralysés par cette crise de la politique extérieure.

Quant à l’état intérieur de la France, son histoire ne saurait être aujourd’hui ni aussi longue, ni aussi variée. Depuis que les affaires d’Orient sont venues remplir la scène et déplacer si subitement, si complètement l’intérêt, la vie intérieure de notre pays reflète toute cette animation du dehors sans y ajouter beaucoup. Le prince Menchikof est presque devenu un moment un de nos personnages politiques, dont on s’est plus occupé que de beaucoup d’autres, et bien des gens emploient consciencieusement leur temps à apprendre la géographie des principautés moldo-valaques et de la Mer-Noire. Au milieu de cette stagnation intérieure, devenue habituelle, il est cependant un incident sérieux dont nous voudrions dire un mot avec toute la réserve nécessaire. Ce n’est rien révéler de bien inconnu que de constater qu’il s’est répandu dans ces derniers temps plus d’un bruit sinistre de conspirations