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écharpes écarlates et les tresses de cheveux flottaient au vent. Ces hardies écuyères galopant à califourchon étaient, nous assuraient nos guides, des princesses ou des dames de haut lignage ; les cavaliers qui leur souriaient familièrement ou qui se hâtaient de les saluer jusqu’à terre étaient les descendans des vieux guerriers de Kamehameha, des chefs dont les pères avaient vu les navires de Cook et de Lapérouse. La face osseuse et la peau rouge de ces fonctionnaires hawaiiens juraient étrangement avec leur costume exotique : on eût dit Lucifer vêtu en gentleman et prêt à s’insinuer sournoisement dans un prêche. Les fonctionnaires indigènes des Sandwich, dût l’ombre de Kamehameha en gémir, n’ont pas d’autre ambition que de copier servilement les habitudes de leurs pasteurs ; ils s’appliquent à parler correctement l’anglais, devenu aux Sandwich la langue officielle et la langue commerciale ; ils commandent la milice ou recueillent les impôts, font adroitement et patiemment leurs affaires, prennent du thé deux ou trois fois par jour, et lisent avec la gravite convenable la Bible ou le Commun prayers, quand ils ne sont pas ivres.

Je ne voudrais point assurément méconnaître les bienfaits des missions protestantes : elles ont arrêté les peuples de l’Océanie sur le bord de l’abîme où cette race insouciante allait s’engloutir ; mais, en étudiant le nouvel état social des îles Sandwich, je me rappelais involontairement l’Indien des Philippines heureux et libre encore sous le joug de la loi qu’il confesse, trouvant dans les cérémonies du culte le plus cher de ses délassemens, dans les croyances de sa foi naïve moins de sujets de découragement que d’espoir. Ni le zèle ni la ferveur n’ont manqué aux missionnaires des Sandwich ; je crains qu’il ne leur ait manqué l’onction et l’indulgence. S’ils avaient fait un peuple heureux, j’applaudirais sans restriction à leur œuvre. Je me sens peu de sympathie pour la communauté maussade dont ils se sont contentés d’être les chefs.


IV

Le 4 juillet 1850, nous quittâmes avec joie la rade d’Honoloulou. Nous n’avions plus qu’une île à visiter dans l’Océan Pacifique ; mais cette île était Taïti. Située à huit cents lieues de l’archipel des Sandwich, entre le 17e et le 18e degré de latitude méridionale, la reine de l’Océanie, après vingt-huit jours de traversée, se montre enfin à nos regards. Ses sommets couronnés d’une verdure éternelle, ses rivages bordés de forêts de palmiers, au pied desquels le flot blanchissant vient mugir, n’ont pas trompé notre attente. Au milieu des pics qu’il domine, un piton plus hardi dessine sur l’azur du ciel cinq fleurons