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Franklin, est le quarantième, publié le 25 septembre 1729. Le jeune imprimeur résolut de métamorphoser complètement le journal dont il était devenu maître, il y mit même une sorte de coquetterie : il se servit de papier bien collé et bien blanc, il fit choix de son plus beau caractère, et soigna extrêmement l’impression : il ne voulut pas seulement être lisible, il voulut être agréable à l’œil. On n’avait encore rien vu de semblable comme typographie dans la province, où les publications du gouvernement étaient faites sur du papier gris et sale, et étaient souvent inintelligibles à force de fautes d’impression ; mais la Gazette de Pennsylvanie ne se recommanda pas seulement par la beauté de l’exécution matérielle : elle eut tout de suite une politique très nette. Franklin n’ignorait pas, après l’expérience de ce qu’il avait vu à Boston, quel puissant moyen d’influence et d’action, quel admirable instrument est un journal entre des mains fermes, prudentes et honnêtes. Aussi n’hésita-t-il point à prendre part dans les querelles politiques qui divisaient alors la Pennsylvanie.

Une lutte assez vive venait de s’engager entre le gouverneur Burnet et l’assemblée, lutte qui devait se continuer sous les gouvernemens suivans. Burnet, conformément à ses instructions, réclamait comme gouverneur un traitement fixe de mille livres sterling une fois voté. L’assemblée, sans chicaner sur le chiffre, voulait que ce traitement fût voté tous les ans avec les dépenses ordinaires. « Elle regardait l’obligation qu’on voulait lui imposer comme contraire à la charte de la province et à la grande charte. Elle croyait à la nécessité d’une dépendance mutuelle entre le gouverneur et les gouvernés. Rendre le gouverneur indépendant ne pouvait manquer d’être dangereux et funeste pour la liberté de la province ; c’était le plus court chemin vers la tyrannie. On croyait d’ailleurs que la province n’en demeurait pas moins dans la dépendance de la couronne, lorsque le gouverneur à son tour dépendait de ses administrés et de sa propre conduite pour un traitement libéral, puisque les actes qu’il pouvait être contraint de sanctionner avaient besoin pour être valables de l’approbation de la métropole. » Dès le 2 octobre 1729, c’est-à-dire dés le second numéro qu’il publia, Franklin se prononça de la façon la plus catégorique pour l’assemblée dans un article qu’il rédigea lui-même et dont la lecture est encore curieuse. Ceux qui savent que le gouvernement anglais voyait de très mauvais œil les assemblées coloniales débattre sans cesse leurs droits et leurs franchises, et les colons discuter sur la politique au lieu de planter du tabac et du coton, ne peuvent s’empêcher de prendre pour autant d’épigrammes les complimens un peu ironiques que Franklin adresse à la mère-patrie. Après avoir loué le gouverneur de l’honorable fidélité avec laquelle il suivait les instructions qui lui étaient envoyées d’Angleterre, Franklin poursuivait ainsi : « L’amour et le dévouement de telle province pour la dynastie actuelle sont trop connues pour qu’on puisse seulement soupçonner sa fidélité. On nous permettra donc de donner aussi quelques éloges à cette assemblée qui continue à soutenir si résolument ce qu’elle croit être son droit, le droit du peuple qu’elle représente, et cela en dépit des manœuvres et des menaces d’un gouverneur renommé pour son adresse et son habileté politique, soutenu par des instructions venues d’Angleterre, et puissamment aidé par cet avantage assuré à sa politique de pouvoir