où l’on parait croire que pour justifier la révolution de 1770 il est nécessaire de la présenter comme accomplie par l’effort unanime du peuple, le jour de la justice peut n’être pas encore venu pour les loyalistes américains ; mais l’impartiale postérité doit tenir compte à ceux-ci de leurs efforts et de leurs travaux, et elle leur fera une place dans l’histoire de la lutte. C’est dans les provinces du sud que l’Angleterre conserva le plus de partisans : en Georgie, l’opinion loyaliste demeura maîtresse du terrain jusqu’au dernier jour de la guerre ; dans la Caroline du sud, il fallut que l’opposition fondât un journal pour avoir un organe, et dans la Caroline du nord ce ne fut que très tard qu’un champion prit en main la cause populaire, encore était-ce un homme étranger à la province. Ce n’est qu’en 1773 que William Hooper, natif de Boston et ancien élève d’Harvard, qui était venu s’établir comme avocat au barreau de Wilmington, publia ses Lettres de Hampden.
Dans la Virginie, au contraire, les whigs se trouvèrent dès le premier jour en possession du champ de bataille ; le parti tory n’avait ni écrivain ni journal à opposer aux trois hommes remarquables qui prêtaient à l’opposition le secours de leur plume. Jefferson, Richard Bland et Arthur Lee n’eurent donc pas d’adversaires. Néanmoins la Virginie, province tout agricole, où nul intérêt commercial n’était compromis, où nulle passion religieuse n’était allumée, se montra toujours assez tiède pour la cause révolutionnaire. L’opinion publique y eut été plus hésitante encore, si quelque voix avait pu s’élever en faveur de la mère-patrie. Dans le Maryland, un homme de savoir et d’esprit, un jurisconsulte renommé, l’avocat-général Daniel Dulany, combattit avec persévérance et talent pour les droits de la couronne, et tint tête à lui seul à Charles Carroll, à Stone, à Samuel Chase et à Paca, qui tous les quatre devaient signer la déclaration d’indépendance. Samuel Chase, caractère ardent et passionné, donna le signal de la démolition des bureaux du timbre et des bureaux de la douane. Après avoir soutenu la polémique la plus vive contre le maire et les autorités municipales d’Annapolis, il transporta la lutte des régions de la spéculation dans le domaine des faits, et quitta la plume pour servir la révolution de sa personne, soit au congrès, soit dans de nombreuses et importantes missions. L’âme de la lutte au sud de l’Hudson fut Charles Carroll, le plus riche particulier peut-être de toutes les colonies, et qui mit sans réserve au service de la cause américaine sa fortune, son influence, son temps et son talent. Dès le début de la querelle, il dit à Samuel Chase : « Nous n’en serons pas quittes sans les baïonnettes, » et toute sa conduite fut réglée d’après cette conviction. Personne n’aventurait un enjeu aussi considérable dans la lutte, personnelle fui plus promptement décidé et ne se prononça plus hautement et avec plus d’énergie. L’ardeur de son cœur perçait jusque dans ses écrits. Un membre de la chambre des communes, M. Graves, frère de l’amiral de ce nom, publia sur les troubles d’Amérique une lettre adressée à Charles Carroll, et dont l’objet était de tourner en ridicule toute idée d’une résistance de la part des colons. M. Graves prétendait que 6,000 soldats anglais traverseraient le continent américain d’une extrémité à l’autre. Carroll fit à cette lettre une réponse passionnée qui était un véritable cri de guerre. Après avoir reproduit la bravade de Graves, il ajoutait : « Vos soldats traverseront l’Amérique ? Soit ! mais ils ne seront maîtres que du terrain sur lequel ils camperont.