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le nouveau journal remportait sur toutes les feuilles de l’opposition : il eut de plus sur elles l’avantage immense de paraître deux fois par semaine au lieu d’une. Grâce à ses relations avec le gouvernement, il était aussi le plus vite et le mieux renseigné sur les affaires d’Europe ; il publiait des extraits des livres nouveaux et des articles littéraires intéressans. Il eut donc tout d’abord un assez grand succès. Les droits de la couronne y étaient défendus avec habileté et surtout avec verve. John Mein était lui-même un bon écrivain, plein de malice et de gaieté, et autour de lui s’étaient groupes quelques gens d’esprit qui lui prêtaient un concours actif. C’était d’abord un négociant de Boston, Joseph Green, grand faiseur de petits vers et de bons mots, qui parodiait à ravir les sermons politiques du docteur Byles et des autres prédicateurs méthodistes, qui persiflait impitoyablement les francs-maçons, tous engagés dans l’opposition, et à qui le papier-monnaie du Massachusetts inspira les Lamentations de M. Vieux-Cours, contre-épreuve américaine de la complainte française sur la mort de M. Crédit. C’était ensuite un employé supérieur des douanes, Samuel Waterhouse, qui employait à défendre la mère-patrie les loisirs forcés que lui faisait l’opposition, et qui excellait à saisir les ridicules des gens, enfin quelques jeunes officiers de la garnison de Boston. Le fanatisme religieux et politique des chefs des whigs, l’affectation qu’ils mettaient à copier les puritains, leurs déclamations, leurs perpétuelles harangues, leur ardeur à sauver tous les matins les droits du peuple et la patrie, étaient autant de sujets de moqueries pour le Boston Chronicle, dont la verve railleuse n’épargnait ni les hommes ni les choses. Mais il en est, paraît-il, des journaux comme des enfans : quand ils ont trop d’esprit, ils vivent peu. Le parti populaire prit en une haine profonde le journal qui tournait en dérision ses chefs et ses principes, et à mesure que les liassions s’échauffèrent. Mein, qui signait le Chronicle comme éditeur, se vit en butte à une animadversion dangereuse : il fut l’objet de menaces, et il finit par avoir des raisons sérieuses d’appréhender pour sa vie. Dans l’automne de 1769, il l’ut obligé de se cacher, et au mois de novembre il s’embarqua secrètement pour l’Angleterre, laissant à l’abandon sa librairie, qui fut fermée. Le gouvernement anglais le dédommagea de ses pertes, et l’employa dans les journaux de Londres, où il put impunément maltraiter les Américains. Après le départ de son associé, Fleming essaya de continuer la publication du Boston Chronicle, mais le soin de sa sûreté l’obligea d’y renoncer dans les premiers mois de 1770. Cet acte de prudence ne désarma point les ennemis que lui avait faits son journal, et en 1778 Fleming fut compris dans l’acte de proscription qui bannit du Massachusetts, sous peine de mort, les personnes demeurées fidèles à la cause royale, et qui confisqua leurs propriétés. Force lui fut d’aller rejoindre Mein en Angleterre.

Après la suspension du Chronicle, plusieurs des hommes importans de la province se réunirent pour fonder, dans l’intérêt de la cause royaliste, un journal ou plutôt une sorte de revue qui paraissait tous les samedis sans nouvelles, ni étrangères ni locales, sans annonces, et qui contenait uniquement des articles politiques. Ce recueil fut appelé le Censeur ; on fit venir pour le diriger un nommé Ezéchiel Russell, qui avait essayé sans succès de fonder un journal à Portsmouth dans le New-Hampshire. Il n’eut pas meilleure