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pu adresser aux bardes qui les avaient composés ce couplet que les jeunes filles de Papeïti aiment encore à s’entendre redire :


« La fleur des collines répand son parfum sans avoir de but : — l’oiseau qui chante ne sait point si on l’entendra. — Ainsi ta beauté, sans que tu y songes, s’exhale de toi comme un parfum. »


Au milieu de ces chants, si vagues dans leur expression, inégal et timide effort d’une veine paresseuse, on s’étonne d’entendre résonner parfois comme une épithète homérique. Chacune des îles de l’archipel dans les chansons des Taïtiens a son surnom qui presque toujours l’accompagne. C’est Raiatéa à la jambe molle, Borabora à l’aviron silencieux, Huahiué qui s’entête à la danse.

Taïti était la Lesbos et non la Sparte de l’Océanie ; elle avait plus de chants d’amour que de chants de guerre. Les îles Sandwich, les îles Viti préféraient l’épopée à l’idylle. Les îles Tonga redisaient sur un mode attendri les plaintes maternelles de leur reine Fiti-Maou-Pologa, dont le fils fut emporté par les vents loin de son île natale. Sa pirogue, longtemps errante sur des flots inconnus, aborda enfin aux rivages de Samoa. Un songe avait rassuré la reine, mais n’avait point consolé sa douleur. Chaque matin, elle venait s’asseoir sur la plage, et les yeux tournés vers le nord elle donnait un libre cours à son affliction.


« Regardez, disait-elle, le nuage du matin se lève. — Où repose ce nuage vermeil ? — Est-ce sur la baie d’Oneata ? — cette baie où est à présent mon fils ! — mon fils chéri est loin de ma maison ! — Que mes larmes soient un océan ! — Mon fils est allé jusqu’à Samoa. — On dit qu’il joue aux boules sur le bord de la mer. — C’était un enfant qui gagnait tous les cœurs ; — il était comme le tiaré[1], — dont le parfum apporté par les vents - réjouit au loin le voyageur qui passe ! »


La souveraine de Taïti, Pomaré, n’a jamais, comme la reine des Tonga, composé de vers ; elle aime à réciter ceux que, dès son enfance, lui ont appris ses folâtres compagnes. Vous l’entendrez souvent murmurer de ces mots sans suite qui tombent mollement en cadence, dont le sens échappe à votre esprit, mais caresse en secret les souvenirs de la reine. Cette princesse, qui, par ses terreurs et ses indécisions, faillit perdre sa couronne et mit un instant en péril la paix du monde, qui eut une folle jeunesse et une maturité soucieuse, qui, plus calme, aujourd’hui, ne veut vivre désormais que pour ses enfans, héritiers de Taïti et des Pomotou, de Raiatéa, de Borabora et de Huahiné, — cette reine en un mot sur laquelle ont été fixés pendant quelques

  1. Le tiaré est la plante que les botanistes anglais ont nommée le gardenia, et dont les femmes polynésiennes mêlent, à cause de son odeur suave, la fleur à leurs cheveux.