DEPUIS LA DERNIERE FAMINE.
Pendant les cinq années qui ont suivi l’année 1847, l’Irlande a dû lutter chaque jour contre les conséquences de la famine. Cette terre si habituée au malheur a été soumise à des épreuves de souffrance qui lui étaient inconnues. Il suffit de citer un chiffre pour en faire mesurer l’étendue. L’Irlande comptait, avant la dernière famine, de 8 à 9 millions d’habitans : elle n’en possédera bientôt plus que 6 ou 5 millions. Si tous ceux qui ont disparu ne sont pas morts de misère, de maladie et de faim, c’est que beaucoup se sont dérobés au péril en fuyant leur pays natal. Le fléau ne s’est pas borné à exercer ses ravages sur les choses qui seules paraissaient être de son empire : sa prolongation et son intensité ont agi sur les imaginations, modifié les mœurs, changé les idées du peuple. La situation sociale tout entière est devenue incertaine et précaire ; à chaque heure, elle se transforme. Il y a trois ans encore, la plupart des propriétaires ignoraient s’ils étaient riches ou ruinés, si l’héritage de leurs pères était une fortune ou devenait un fardeau. Tel qui possédait 50, 000 acres n’avait pas le lendemain un seul acre au soleil. Ceux des pauvres qui n’étaient pas morts de faim, ou qui n’avaient pas émigré, ne savaient comment conserver les seuls biens qui appartiennent aux plus malheureux, la vie et la patrie. L’Irlande devait-elle produire désormais pour eux la subsistance ? Combien, lesquels seraient contraints de s’expatrier ? Cela dépendait du hasard de la prochaine récolte. C’est que les pommes de terre n’avaient pas uniquement ici l’importance d’une denrée alimentaire difficile à remplacer. Dans la condition économique de l’Irlande, aucune autre production aussi nutritive ne pouvait être cultivée