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Comme on dit dans le langage irlandais, on paie dans l’union de Clifden 21 shillings sur 20. Je me trompe, on paie beaucoup plus. Il y a encore à solder le county ceas et le tithe rent charge. Avant le budget de M. Gladstone, on avait aussi à payer les consolidated annuities. Je ne sais pas précisément à combien elles montaient à Clifden : mais dans une union voisine la dette contractée envers le gouvernement, pour secourir les affamés pendant la famine, s’élevait au quadruple, du produit annuel de la propriété et faisait peser sur elle pendant quarante ans une charge de 2 shillings par livre. Aussi 300,000 acres d’un seul tenant, appartenant à l’union de Clifden, ont-ils été vendus presque simultanément à la cour des encumbered estates, et l’ancien propriétaire de l’admirable château de Clifden est aujourd’hui ministre de la paroisse. Il existait dans ce pays sauvage du Connemara une propriété célèbre par son étendue. Ce qu’on appelait la loge du portier de Ballynahinch était à 21 milles irlandais du château, c’est-à-dire à 9 ou 10 lieues françaises. Il y a deux générations à peine, le landlord de Ballynahinch disait avec orgueil : « Un rescrit du roi ne vaut pas un denier au milieu de mes lacs et de mes bruyères. » Voici quel a été le sort du dernier propriétaire de ce domaine extraordinaire. J’ai entendu raconter son histoire sur les lieux ; la trouvant répétée avec simplicité dans un livre de jurisprudence écrit en faveur des procédés de la cour des encumbered estates, je me borne à traduire.


« Feu Thomas Baraewell Martin, qui mourut de la fièvre prise pendant qu’il remplirait ses devoirs de gardien de la loi des pauvres, et il était vraiment un gardien des pauvres, ne laissa qu’une fille, la dernière descendante d’une des familles normandes établies le plus anciennement en Irlande. Cette dame contracta une dette personnelle dans le temps de la famine, afin d’acheter des vivres qui pussent nourrir ses tenanciers affamés. Lorsque le paiement fut exigé, avec l’humanité caractéristique de sa famille, elle ne voulut pas trop presser dans leur détresse ceux qui dépendaient d’elle, et on saisit, par exécution du shériff, le château et le domaine de Ballynahinch. Ce coup précipita sa ruine. L’héritière des Martin fut contrainte à fuir, avec son mari, sa maison démantelée, et elle aussi dut s’expatrier et chercher un refuse de l’autre côté de l’Atlantique. Elle mourut avant d’avoir atteint la terre étrangère. Elle mourut sans enfant et sans patrie, méritant ainsi, en terminant les destinées d’une race illustre, cette devise mélancolique et triomphante que Richard Cœur de Lion avait conférée à son grand ancêtre sir Olivier Martin, lorsqu’il combattu à ses côtés dans la terre-sainte et partagea ensuite sa captivité : Sic itur ad astra. »


De si grands sacrifices ont-ils ramené l’abondance dans ces contrées désolées ? D’autres sacrifices faits postérieurement, et dont la forme soulève des questions morales des plus controversables, ont-ils du moins relevé la misère du Connemara jusqu’au niveau ordinaire