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les haines de classes, alors la contribution volontaire pour l’entretien des ministres du culte devient un système extrêmement dangereux. Ce serait une erreur d’espérer que l’organisation de la hiérarchie puisse, dans une situation pareille, conjurer tous les périls. Le prêtre nommé par l’évêque ne dépend-il pas toujours pour sa subsistance du bon vouloir de ses paroissiens ? Ceux-ci peuvent à leur gré le mettre dans l’aisance ou le plonger dans la misère. Il est moralement leur directeur et matériellement leur dépendant. Sans doute le montant de la contribution à payer par les catholiques suivant leur fortune est en principe réglé dans chaque diocèse, mais qui ne comprend que ces règles doivent être mal observées ? Elles le sont à ce point que la rétribution devient tout à fait arbitraire et se perçoit parfois de la manière la plus fâcheuse. Il n’y a là aucun rapport avec ce que nous appelons en France le casuel ; c’est par l’aumône, à la façon des ordres mendians, que vit le clergé irlandais ; encore ceux qui prennent sur leurs privations pour l’aider à soutenir son existence et son rang sont-ils ceux-là mêmes dont il doit diriger les consciences et contrôler les préjugés. En Irlande, le système de la contribution volontaire est donc de nature à produire des effets à peu près semblables à ceux du suffrage universel appliqué à la nomination des ecclésiastiques, suffrage universel d’une seule classe et de la classe pauvre, d’une seule nation quand il y a deux nationalités en présence, n’agissant pas directement sur la nomination, mais exerçant tous les jours une influence indirecte ! S’il était vrai que le prêtre irlandais, si remarquable par sa piété, par son zèle, par sa moralité, toujours prêt à censurer avec fermeté et à corriger avec vigueur les mœurs individuelles, fut faible, incertain, vacillant devant les passions générales, et quelquefois parût être leur instigateur ou leur complice, il n’y aurait pas lieu d’en être surpris. Comment remplir la tâche ingrate de demander de l’argent à des gens qui meurent de faim, et ne pas ménager leurs préjugés ? comment vivre par l’aumône des mendians, et leur prêcher les vertus sociales en même temps que les vertus chrétiennes ? D’ailleurs, les choses humaines ne sont pas d’une clarté absolue ; on peut croire bon d’exciter les passions quand elles ravivent la foi ; on se sert sans scrupule de l’arme de la politique lorsqu’on se persuade qu’elle protège la cause de la religion, et que l’influence de l’homme de parti accroît celle du prêtre.

Cependant les vertus chrétiennes sont capables de triompher des vices de la situation la plus fausse, et grâce au respect héréditaire du peuple irlandais pour son clergé, celui-ci pourrait maintenir son autorité par la seule puissance du caractère religieux. Il n’est nécessaire ni de nier des accusations peut-être trop généralisées, ni de les