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faire porter sur la religion, pour expliquer une agitation que ferait naître la position du clergé irlandais sans aucune provocation de sa part. Ceux qui ont créé cette situation, ceux qui la maintiennent, sont responsables de ses conséquences fatales. À côté de ce clergé qui vit à la lettre sur le denier de la veuve et de l’orphelin, il en existe un autre très respectable dans ses mœurs, mais dans des conditions différentes à tous autres égards. De tous les contrastes, le plus choquant n’est pas le contraste de l’inégalité naturelle des conditions, c’est celui de l’inégalité légale dans des positions semblables. Ici les positions ne sont pas même semblables. Le clergé rétribué a pour fidèles les gens riches, l’autre les pauvres ; celui-ci possède un troupeau nombreux, celui-là dans beaucoup de paroisses compte à peine quelques auditeurs, et, ce qui est tout en Irlande, le clergé rétribué est anglican, le clergé non rétribué est catholique et Irlandais. On a cru résoudre la difficulté en changeant la dîme en une contribution sur le propriétaire ; mais chaque fois que l’Irlandais pauvre remet son offrande au prêtre catholique, ce sacrifice réveille son amertume, et rappelle les griefs anciens de l’Irlande. Qu’il me soit permis de répéter encore ici le mot si puissant de M. Burke : « Le catholicisme en Irlande est non-seulement une religion, c’est aussi une nationalité. » Pourquoi le clergé protestant est-il rétribué ? pourquoi le clergé catholique ne l’est-il pas ? Si l’Angleterre n’a pas agi en Écosse comme en Irlande, bien que le culte dominant n’y fût pas le culte anglican, c’est que l’Écosse n’a pas été conquise. Ces biens que possède aujourd’hui le clergé anglican ont autrefois appartenu à l’église catholique d’Irlande. Pourquoi n’en jouit-elle plus ? Encore une fois, parce que l’Irlande a été conquise. L’Irlande est donc traitée en pays conquis ; la liberté religieuse a été rendue, mais la blessure du sentiment national n’a pas été cicatrisée. Pour peu que l’on ait visité ce pays et causé avec quelques hommes du peuple, on voit à quel point cette question des biens du clergé agite les esprits. Après tous les récens efforts de l’Angleterre pour se concilier l’Irlande, il semble qu’elle n’ait rien fait, parce que ce déni de justice subsiste encore.

Jamais ceux qu’animent des passions contraires ne comprennent bien les questions de sentiment. Il a fallu toute la supériorité de M. Pitt pour penser, comme M. Fox, que la première chose à faire pour pacifier l’Irlande était de subvenir sur les fonds de l’état aux dépenses du clergé catholique en Irlande, et de lui donner ainsi un équivalent pour ses biens irrévocablement perdus. Certes chacune des lois pénales était plus odieuse que l’injustice dont l’église catholique d’Irlande est victime ; le grand acte de l’émancipation parait d’une importance plus considérable que ne peut l’être la simple révolution