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d’habileté a pu commettre de pareilles fautes, rappeler sur le champ de bataille des hommes soumis et désarmés depuis longtemps, appauvrir le pays de bras et d’argent, soulever des haines implacables, pour la simple satisfaction d’arracher de force ou à prix d’argent des conversions qui, obtenues par de pareils moyens, ne pouvaient pas être sincères ; ce n’était pas seulement de la cruauté, c’était de la folie ; et à la façon dont en parle Daniel de Cosnac, il est facile de voir qu’il était loin d’approuver ce prosélytisme violent. Il convient que s’il y eut des conversions nombreuses dans son diocèse, la crainte des dragons y contribua beaucoup plus que ses propres efforts, et, dans tous les cas, il se montra fort accommodant. Quelque suspectes que lui parussent les abjurations, il se hâtait de les recevoir, et, par cette tolérance, il eut le bonheur de sauver la vie à plus de deux mille personnes. Du reste, il faut rendre cette justice aux membres du clergé français, qu’ils montrèrent au milieu de toutes ces persécutions beaucoup moins d’animosité que les fonctionnaires laïques, la plupart de ces derniers ayant presque toujours exagéré la rigueur de leurs ordres en même temps qu’ils trompaient le roi par de faux rapports.

Comme tous les hommes qui dans le grand siècle de notre littérature ont tenu la plume sans faire métier d’écrire, l’archevêque d’Aix a le style ferme et net, la phrase de pleine venue, le mot vif et pénétrant ; il excelle à tracer le portrait, sans doute avec moins de verve et d’éclat que Saint-Simon, — car ce grand peintre n’a point de rival dans notre langue. — mais avec plus de vérité peut-être, parce qu’il a moins de préjugés, moins de passion, et qu’il sait, par une longue pratique des affaires, qu’en fait de vertus publiques ou privées il ne faut demander aux hommes que ce qu’ils peuvent donner. Ce qu’il dit, entre autres, du prince de Conti, du chevalier de Lorraine, d’Henriette d’Angleterre, d’Anne et de Marie-Thérèse d’Autriche, de Mazarin, de Monsieur, mérite d’être recueilli par l’histoire.

À la suite des souvenirs autobiographiques de l’archevêque d’Aix, on trouve comme appendice des pièces détachées qui forment la seconde partie du deuxième volume ; ce sont des lettres, des factums, des harangues prononcées soit dans les assemblées du clergé de France, soit dans les réunions des états de Provence. On remarquera dans le nombre le discours sur les limites du pouvoir des papes. L’orateur y développe, avec une vivacité singulière, les théories suivantes, à savoir, 1° que les rois ne doivent reconnaître que Dieu seul comme ayant autorité sur leur temporel ; 2° que la connaissance et la domination des affaires de ce monde ayant été défendues aux apôtres, les papes, qui sont apostoliques, ne doivent pas s’en mêler ; 3° que le concile est supérieur au pape. Pour appuyer cette doctrine, Cosnac invoque tous les grands noms du catholicisme français, saint Bernard, Hugues de Paris, Richard de Saint-Victor, et nous pensons, pour notre part, qu’il est facile d’en établir la constante filiation à travers notre histoire. Au XVIIe siècle, le clergé était unanime sur ce point ; mais de nos jours une réaction très vive s’est opérée dans certains esprits, et dans ce débat, aussi bien que dans les persécutions qui ont suivi la révocation de l’édit de Nantes, ce sont les laïques qui se sont montrés les plus excessifs et les plus ardens. Les pragmatiques, la déclaration de 1682, le concordat qui les confirme et les couronne,