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mais, cela est trop évident, ils ont été fidèles à sa méthode. Que cet avertissement vous éclaire. Témoin des désordres où cette logique infatuée a conduit toute une école, M. Rosenkranz serait inexcusable de s’arrêter à moitié chemin. Les hommes qu’il combat aujourd’hui, les faux disciples, les faux savans, les insulteurs de la déesse de Saïs, ont suivi docilement, non pas la pensée de Hegel, mais les procédés de sa dialectique ; soyez fidèles, vous, à cette pensée que vous avez le courage de revendiquer, et pour cela renoncez désormais à sa méthode ! « D’où viennent les argumens des athées ? » disait Descartes dans la préface, de ses Méditations. « De ce que l’on feint dans Dieu des affections humaines, ou de ce qu’on attribue à nos esprits tant de force et de sagesse que nous avons bien la prétention de vouloir déterminer et comprendre ce que Dieu peut et doit faire. » Il semble, en vérité, que ces paroles s’appliquent à la moderne philosophie allemande. Hegel prétend déterminer ce que Dieu peut et doit faire ; il débute par une théodicée à priori, et cette théodicée a beau répugner à toutes les notions du sens intime, à toutes les inductions de l’expérience, il la proclame comme une vérité hors de doute, il en fait la base de tout son édifice ; or, comme c’est la fantaisie métaphysique de Hegel qui s’est substituée à Dieu, les écoles qui se rattachent à lui finissent aussi, de déduction en déduction, par se substituer à l’essence suprême, et cette substitution dès lors n’est plus, comme chez Hegel, une témérité de méthode, c’est une impiété orgueilleuse et cynique : le grave Hegel est remplacé par MM. Feuerbach et Stirner. « De sorte, reprend Descartes, que tout ce qu’ils disent ne nous donnera aucune difficulté, pourvu seulement que nous nous ressouvenions que nous devons considérer nos esprits comme des choses finies et limitées, et Dieu comme un être infini et incompréhensible. » Voilà la vérité, voilà la solution du problème. Ce Dieu infini, incompréhensible, n’essayez plus de le connaître à priori ; élevez-vous à lui par le double travail de l’observation psychologique et de la raison ; en d’autres termes, renoncez à la méthode insensée par laquelle vous prétendez être plus qu’un homme, et reprenez courageusement la route qu’avait tracée Descartes. M. Rosenkranz est en de bonnes conditions pour cela ; il proclame la personnalité de Dieu sans se soucier du dédain des humanistes, et la meilleure partie de son livre incontestablement, c’est la psychologie. La prétendue méthode ontologique n’a donné que trop de preuves de son impuissance ou de son délire ; il est temps de revenir à l’étude de l’âme et de rentrer dans le domaine de la vie. Il s’en faut bien que le spiritualisme de Descartes ait produit tout ce qu’il renferme ; portez-y vos richesses, déployez-y la hardiesse désormais contenue de l’esprit allemand ; c’est le seul moyen de faire disparaître à jamais les fantômes sinistres qui vous obsèdent et de renouveler le champ de la science.

L’exemple est donné à M. Rosenkranz ; il semble qu’on revienne de toutes parts à la philosophie de Kant. Kant ou Descartes, le point de départ est le même. On sait que l’illustre maître de Kœnigsberg, en étudiant les facultés de l’intelligence, avait cru découvrir que la raison ne pouvait nous assurer la connaissance du vrai. Comme un moule qui donne son empreinte à la matière, l’esprit impose sa forme et sa marque aux objets qu’il conçoit, et nos