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du pédantisme : « Le but de la vie, dit-il, ce n’est pas la science, c’est la sagesse. » Ce que M. Hermann Fichte affirme des droits politiques, lesquels ne sont que l’instrument du devoir, M. Chalybœus l’affirme aussi de la science, chose inutile, chose dangereuse, si elle n’est l’instrument de la loi morale et la préparation d’une existence meilleure.

La science allemande, comme on voit, rentre ici complètement dans les grandes voies de l’école française. L’auteur commence par établir avec force le dogme de la liberté. Les vieilles objections contre le libre arbitre de l’homme ont été rajeunies de nous jours ; le panthéisme et le matérialisme du XIXe siècle ont essayé de donner une forme nouvelle, à ces sophismes séculaires : il faut poursuivre l’erreur sous tous ses déguisemens, il faut déchirer tous ses masques. De ce que la liberté n’a pas de place dans le monde qui nous porte et nous entoure, on a conclu que nous étions soumis nous-mêmes à cette nécessité qui règne sur l’univers matériel ; la seule loi, dès lors, était de nous abandonner à nos instincts, comme la matière obéît aux lois physiques, et les fureurs révolutionnaires, avec leurs concupiscences sauvages, étaient tout naturellement justifiées. C’est vraiment la honte de l’esprit humain, qu’il faille toujours recommencer sur nouveaux frais cette démonstration de la liberté. La liberté n’est nulle part, dit le panthéiste, un mouvement fatal emporte le monde entier. — « Eh ! pauvre sophiste, répond M. Ghalyhœus, ne vois-tu pas que si tu es homme, c’est précisément parce que, seul dans le monde créé, tu possèdes ce pouvoir de résister à la nécessité et de régler toi-même tes actions ? Quoi ! parce que la liberté n’est pas partout, tu ne sais pas la reconnaître ? Eh ! que dirais-tu du savant qui nierait l’existence de l’aimant, parce que l’aimant n’attire ni le plomb ni l’étain, mais seulement le fer ? Que dirais-tu du physicien qui nierait la Lumière, parce que la lumière ne traverse pas les corps opaques ? Tu prononces de grands mots, l’unité de la science, l’unité du cosmos, et un écolier te ferait la leçon ! » - Il est triste, encore une fois, qu’il faille établir sans cesse des vérités si simples ; mais enfin la démonstration était nécessaire, et M. Chalybœus y a consacré d’excellentes pages. Cette démonstration de la liberté morale était d’autant plus urgente, que le hardi penseur, soutenu par son enthousiasme et ses intentions généreuses, va ouvrir à l’âme de vagues domaines où le dogme de la personnalité pourrait bien être mis en péril. Préoccupé avant tout de l’influence pratique, M. Chalybaeus a bien soin de rattacher l’homme, dès le début de sa théorie, à la famille dont il est membre ; le fond de la volonté, c’est l’amour, et la notion de la liberté morale est indissolublement liée à la notion de la solidarité humaine ; mais cet amour, dans les pages imprudentes de M. Chalybœus, a parfois des ravissemens où il est dangereux de le suivre. L’esprit de l’homme, à l’entendre, n’est pas seulement le membre d’une communauté immense qui accomplit sous la main de Dieu ses destinées infinies ; il n’a pas seulement des rapports nécessaires avec le genre humain, qui le soutient en quelque sorte, et avec ce Dieu partout présent qui l’appelle : il faut qu’il vive de la vie universelle, il faut que la nature, l’humanité et Dieu se reflètent sans cesse dans son microcosme, et qu’à chaque instant de la durée il porte toute l’éternité dans son cœur. À ces vagues et séduisantes formules, M. Chalybœus ne craint pas d’ajouter des paroles plus téméraires encore : « Le Saint Esprit,