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1778, et qu’il allait jusqu’à préciser la date du premier million délivré le 10 juin 1776. — S’il refusait de dévoiler aux États-Unis le nom de l’homme à qui avait été avancé ce million, ce n’était donc plus par des considérations de prudence politique, mais par un motif d’équité personnelle à l’égard de Beaumarchais, pour ne pas fournir aux Américains une arme contre lui, comme l’énonçait expressément M. Durival dans son rapport au ministre. — Par ce refus de communiquer aux États-Unis le reçu de Beaumarchais, le ministre leur disait, ce semble, implicitement : — J’ai classé ce premier million dans le contrat du 25 février 1783 parmi les millions donnés gratuitement par moi pour votre service ; mais comme il n’a pas été donné à vous, comme l’homme à qui je l’ai donné s’est engagé par son reçu à rendre compte de son emploi à moi et non à vous, cet homme ne peut être comptable qu’envers moi. Si je vous demandais le remboursement de ce million, vous auriez le droit de le réclamer de votre côté à celui qui l’a reçu ; mais, comme je ne vous demande rien, c’est à moi seul qu’il appartient de décider jusqu’à quel point cette avance gratuite d’un million faite par moi pour vous doit vous profiter, à vous ou à l’homme à qui je l’avais donné, pour concourir à une opération secrète qui vous a été très utile, mais qui jusqu’ici, par votre refus d’acquittement, paraît avoir été plus pénible que fructueuse pour lui.

Cette réticence en faveur de Beaumarchais était ici d’autant mieux justifiée, que cet incident se passait complètement à son insu, qu’il n’avait été appelé à faire valoir ses droits ou ses intérêts ni sur la mention faite dans le contrat du 25 février 1785 du million reçu par lui, contrat secret et qu’il ne connaissait pas, ni sur la demande en communication du reçu fait par le banquier des États-Unis en 1786 et refusée par le ministre.

Tandis que ces explications s’échangeaient entre M. de Vergennes et le banquier des États-Unis, Beaumarchais pressait en vain auprès du congrès la liquidation de son compte, ajournée depuis neuf ans, demandant au moins un arbitrage, proposant comme un de ses arbitres M. de Vergennes lui-même, et acceptant, de la part des Américains, tous les arbitres qu’il leur plairait de choisir, excepté Arthur Lee, son ennemi personnel. En 1787, à bout de patience, il écrivait au président du congrès, en date du 12 juin, une lettre inédite dont j’extrais le passage suivant :


« Que voulez-vous, monsieur, qu’on pense ici du cercle vicieux dans lequel il paraît qu’on s’enveloppe avec moi ? Nous ne ferons aucun remboursement à M. de Beaumarchais que ses comptes ne soient réglés par nous, et nous ne réglerons point ses comptes pour n’avoir point de remboursement à lui faire !