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teur. — Quant au million que les États-Unis prétendaient déduire, le gouvernement français, s’appuyant sur les déclarations officielles faites au congrès, en 1778, par M. de Vergennes, intervenait vivement à l’appui des héritiers Beaumarchais, et la première dépêche adressée par le ministre Talleyrand sur cette question, le 28 germinal an XI, à notre ambassadeur auprès des États-Unis, nous dispensera de reproduire toutes les autres dépêches écrites successivement par d’autres ministres, toujours dans le même sens :


« On oppose, écrit Talleyrand, aux héritiers de M. de Beaumarchais un reçu donné par ce dernier le 10 juin 1776 pour 1 million à lui remis par ordre de M. de Vergennes, et l’on prétend imputer cette somme sur les fournitures faites par lui aux États-Unis. Comme le paiement et la destination de ce million tenaient à une mesure de service politique secret ordonnée par le roi et exécutée immédiatement, il ne paraît ni juste ni convenable de la confondre avec des opérations mercantiles, et postérieures en date, d’un particulier avec le congrès. Par conséquent, on ne peut tirer contre M. de Beaumarchais, en sa qualité de créancier personnel des États-Unis pour fournitures à eux faites, aucune induction de la pièce communiquée par l’ex-commissaire des relations extérieures Buchot au ministre américain.

« Je vous invite, citoyen ministre, à soutenir de votre influence les réclamations de la famille Beaumarchais, et à faire valoir les considérations de loyauté et d’honneur national qu’elle invoque, un citoyen français qui hasardait pour le service des Américains sa fortune tout entière, et dont le zèle et l’activité leur ont été si essentiellement utiles pendant la guerre qui leur a valu leur liberté et leur rang parmi les nations, pourrait sans doute prétendre à quelque faveur : au moins doit-il toujours être écouté lorsqu’il ne demande que bonne foi et justice. Agréez, etc.

« Talleyrand. »


En 1816, le gouvernement des États-Unis fit demander par M. Gallatin au duc de Richelieu, alors ministre des affaires étrangères, si le gouvernement français consentirait à déclarer formellement que le million fourni le 10 juin 1776 à Beaumarchais n’avait rien de commun avec les fournitures faites par ledit Beaumarchais aux États-Unis. Le duc de Richelieu, se fondant sur la note officielle adressée au congrès par M. Gérard en 1778, n’hésita pas à faire la déclaration demandée. Cela n’était exact qu’officiellement ; mais il semble que cette déclaration eût dû suffire pour terminer le débat, car enfin, en admettant que Beaumarchais eût tiré tout son argent des coffres de l’état, il y avait certainement quelque chose d’étrange et de peu digne dans l’attitude d’une nation, devenue puissante, qui, après avoir reçu d’un particulier à une époque d’extrême détresse les services les plus signalés, s’obstinait à dire à ce particulier ou à ses héritiers : « Qui vous a donné l’argent avec lequel vous m’avez