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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/698

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santes de sa correspondance que celle où il discute de Paris avec son agent de Kehl tous les détails de cette immense opération. Cet agent, nommé Le Tellier, était un jeune homme très intelligent, qui avait beaucoup contribué à monter la tête à Beaumarchais et à le décider à entreprendre cette édition en se faisant fort de le débarrasser des soucis de l’exécution matérielle, mais il avait l’esprit un peu chimérique : il voulait rattacher à l’édition de Voltaire toutes sortes d’entreprises ; il était de plus très susceptible et très impérieux avec ses subordonnés. Beaumarchais le dirige, le contient, l’adoucit, et se montre, dans l’abandon de ces lettres intimes, non-seulement plein de raison et souvent très spirituel, mais plein de douceur, de bonté, dominé en tout par un sentiment de loyauté commerciale dont il est impossible de ne pas être frappé.


« Paris, ce 10 mars 1780.

« Quand je vous écris, mon cher, c’est absolument comme si je vous parlais. Mon style est teint de la couleur de mon esprit, et vous devez me répondre comme lorsque nous conversons. Je ne vous ai point fait de reproches de négligence, mais peut-être de trop embrasser, et c’est la crainte de mal étreindre qui me ramène sans cesse à ces réflexions…

« Tout ce que nous entreprenons se charge de vues pénibles, et nous ne marchons pas assez simplement pour aller au but dans les temps donnés. Comment voulez-vous, par exemple, que nous promettions pour les premiers mois de 1782 une édition qui n’a encore ni feu ni lieu en mars 1780, dont les moulins à papier sont à faire, les caractères à fondre, les presses à monter et l’établissement à former ?

« Voilà déjà un an de perdu, à peine nous reconnaissons-nous. Votre échantillon de papier numéro 3 est si médiocre, que c’est se moquer d’en vendre les exemplaires à 6 francs le volume. En se passant ainsi la médiocrité sur tous les points, à mesure que les obstacles se présentent, vous n’offrirez qu’une édition très inférieure au public mécontent, et j’avoue que cette frayeur qui me saisit au milieu des promesses que je fais à tout le monde et de l’espoir d’une belle chose qui m’avait échauffé le cœur, cette frayeur du médiocre, dis-je, empoisonne ma vie. Voilà du papier plus qu’inférieur pour l’in-8o ; voilà des caractères qui, non lissés sur ce maigre papier, n’auront aucune grâce, et les libraires, offensés de notre éloignement à nous servir d’eux, vont nous accabler de sarcasmes et de reproches publics. J’avoue que je ne les soutiendrais pas… Je ne sais pas ainsi m’arranger avec moi-même et me contenter de moins à mesure que je vois la difficulté de donner plus. Ce n’est pas là ce que j’ai cru, et le comble du ridicule serait, je l’avoue, d’avoir embrassé une branche honorable, si elle était belle, pour être rangé dans la classe des vils imposteurs et spéculateurs en éditions, tels que je vois traiter et traite moi-même tous ceux qui trompent le public en cette partie. Si vous m’avez entraîné par ma confiance en vos lumières et ressources en ce genre de travaux, ne me laissez pas du moins tomber au-dessous de mes engagemens envers le public : vous auriez empoisonné une carrière, qui n’avait nul