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d’Almanza (25 avril 1707.) Guiscard commandait un régiment de dragons qui fut taillé en pièces ; puis il revint en Angleterre sans emploi et sans solde. Il commençait à être estimé ce qu’il valait. Il sollicitait une pension ; c’était sous le précédent ministère, et, peu recommandé par sa liaison avec Saint-John, sa demande était restée sans effet. Quand il vit au pouvoir son ancien ami, il conçut plus d’espérance ; mais tous deux s’étaient, dit-on, récemment querellés pour une femme. Faiblement appuyé, Guiscard obtint cependant une pension de 500 livres sterling, réduite aussitôt à 400, et mal assurée faute d’affectation sur aucun fonds déterminé. Dans son mécontentement, il songea à faire sa paix avec la France, ce qui n’était guère possible qu’en trahissant l’Angleterre. Il adressa à Paris des lettres dirigées par le Portugal qui revinrent dans les mains du gouvernement. On n’a jamais bien su ce qu’elles contenaient, probablement des avis en l’air et de fausses révélations. On le fit surveiller, entourer par des gens qui, en jouant avec lui, en buvant avec lui, pénétrèrent dans sa confidence. On sut qu’il avait voulu faire passer une lettre dans la correspondance commerciale d’un marchand de la Cité. Elle fut saisie ; elle contenait des preuves de trahison flagrante, et le lendemain d’un jour où il avait été reçu par la reine pour lui demander l’augmentation et le paiement exact de sa pension, il fut, en vertu d’un mandat signé, selon l’usage, par le secrétaire d’état, qui n’était autre que Saint-John lui-même, arrêté dans le parc de Saint-James sous prévention de haute trahison. Les messagers de la reine le conduisirent à Cockpit[1], donnant les signes d’un violent désespoir (19 mars 1711). Dans la chambre où il fut retenu, il trouva moyen de se saisir d’un canif sans être vu de ses gardiens. Conduit bientôt devant un comité du conseil privé où siégeaient les principaux ministres, il montra d’abord une assurance effrontée ; mais lorsqu’il vit qu’on lui représentait sa lettre, il demanda à parler en particulier au secrétaire d’état qui l’interrogeait. Saint-John lui répondit que cela était impossible ; que, prévenu d’un crime, il devait s’expliquer devant tout le monde. Comme il s’obstinait, on sonna pour le faire emmener. « Voilà qui est dur, dit-il. Quoi ! pas un mot ! » Saint-John était assez loin de lui et hors de sa portée. Guiscard s’approcha de la table, et, se précipitant sur Harley, il s’écria : « Alors voilà pour toi. » Et il le frappa avec une grande force de deux coups de canif. La lame se brisa contre les os de la poitrine. Cependant Harley tomba. « Le misérable l’a tué ! » s’écria Saint-John, et il tira son épée. Le duc de Newcastle en fit autant, et tous deux se jetèrent sur le meurtrier. Les gardes accoururent et le frappèrent à leur tour

  1. Près de White-Hall ; c’était l’office du conseil privé.