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parurent s’associer à leurs espérances, et ils transmirent à La Haye les propositions encore secrètes du roi de France. Le successeur de Townshend, lord Raby, parut d’abord surpris et défiant. Il croyait, comme les Hollandais, que Louis XIV ne voulait qu’amuser et diviser les alliés. Saint-John lui répondit de manière à lui faire sentir que l’affaire était sérieuse, l’engageant à venir prendre langue à Londres, et l’assurant que la reine ne tarderait pas à lui donner la pairie. Les yeux du diplomate s’ouvrirent, et, devenu bientôt comte de Strafford, il comprit de mieux en mieux la politique de Saint-John ; il distingua son rôle confidentiel de son rôle officiel, reconnut qu’il était là pour lutter contre Heinsius et Marlborough, et que ses adversaires n’étaient pas les ennemis. Sur la réponse des Hollandais, on résolut de demander au cabinet de Versailles de nouveaux éclaircissemens. On ne se contenta pas cette fois de dépêcher l’abbé Gautier. On envoya, sous un nom supposé, le fidèle Prior, qui passa plusieurs fois le détroit, et dont les voyages ne purent rester aussi secrets que les négociations dont il était chargé. Pour détourner l’attention du public, Swift imagina d’imprimer une relation supposée du voyage de Prior à Paris. Ce récit était donné comme la traduction d’une lettre d’un habitant de Boulogne, que Prior aurait pris pour valet de chambre secrétaire, en passant dans cette ville, où Torcy serait venu l’attendre sous le nom de M. de La Bastide. Ce serviteur, Du Beaudrier en son nom, les avait ensuite accompagnés à Paris et à Versailles. Dans cette relation, semée de détails assez bien trouvés pour la rendre vraisemblable, où même Louis XIV et Mme de Maintenon jouent leur personnage, quelques bribes de conversations saisies au vol par le curieux secrétaire donnent à croire que l’agent anglais s’est montré exigeant, impérieux, que la France a un vif besoin et un désir sincère de la paix, et qu’enfin les affaires de la Grande-Bretagne sont admirablement bien faites. Ce récit, dont la fiction trompa tout le monde, fut enlevé par la crédulité publique, et Swift raconte que, le jour même où l’ouvrage parut, Prior, chez qui il dînait, lui dit en le lui montrant d’un air chagrin : « Voilà bien notre liberté anglaise ! » Le docteur fit semblant de lire quelques pages, témoigna son approbation, et dit qu’il était jaloux du coquin qui avait eu cette idée, et que, si elle lui était venue en tête, il aurait certainement écrit tout cela. La brochure est spirituelle, et à quelques bévues près, inévitables quand on imagine un pays étranger, elle était assez propre à faire l’illusion de la réalité.

De son côté, Daniel De Foe, tout en repoussant la qualité de ministériel, tout en défendant avec fidélité la mémoire de son maître Guillaume III et le traité de partage dans le passé, écrivait pour la paix et ne manquait pas de raisons pour expliquer comment, depuis