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cependant empêcher de s’ouvrir les conférences de Gertruydenberg. De La Haye, où tout leur était rapporté, Marlborough et Eugène, toujours unis dans la diplomatie comme dans les batailles, maintinrent inexorablement les conditions odieuses que Louis XIV ne pouvait accepter, et rendirent vaines toutes négociations, nourrissant peut-être l’espoir insolent d’aller dicter la paix dans les murs de Paris ; mais la Providence réservait cette humiliation à un autre orgueil que celui de Louis XIV.

Cependant la cause de la paix avait plus gagné par les événemens de Londres que par toutes les négociations du continent. Un jour du mois de janvier 1711. le marquis de Torcy apprit que l’abbé Gautier, venant d’Angleterre, descendrait sous peu de jours à la maison de l’Oratoire de la rue Saint-Honoré, et dès le soir de son arrivée, le ministre le vit entrer dans son cabinet, à Versailles. « Voulez-vous la paix ? » fut le premier mot du nouveau-venu. « Interroger alors un ministre de sa majesté s’il souhaitait la paix, dit humblement Torcy dans ses mémoires, c’était demander à un malade attaqué d’une longue et dangereuse maladie, s’il en veut guérir. » L’abbé Gautier, ancien aumônier de l’ambassade de France à Londres, y était resté depuis la guerre, disant la messe chez le ministre d’Autriche, étudiant le pays, écrivant quelquefois au gouvernement français. Il avait des relations avec le comte de Jersey, mari d’une femme catholique, parent de Saint-John, ami des nouveaux ministres. Ceux-ci l’avaient vu en grand secret, et c’est de leur part qu’il venait annoncer à Torcy que le cabinet de la Grande-Bretagne voulait la paix. Sans instruction écrite, il ne demandait à rapporter qu’une lettre de compliment pour lord Jersey. Il obtint à peu près ce qu’il voulut, partit, revint et repartit avec un mémoire dressé par ordre du roi, contenant des bases de négociations pour la paix générale.

C’était précisément l’époque de la mort de l’empereur Joseph Ier, qui laissait ses états autrichiens à son frère Charles, déjà candidat à la couronne d’Espagne, maintenant candidat à l’empire. Quelques mois après, l’archiduc était empereur, et l’Europe était exposée, s’il triomphait dans la Péninsule, à voir réunir sous le sceptre d’un seul homme plus d’états qu’elle n’avait craint d’en voir partagés entre les deux branches de la maison de Bourbon. L’équilibre des puissances et du monde était donc menacé d’un autre côté, et la guerre avait une raison de moins. En faisant connaître au parlement l’intention de la reine de continuer son appui à la maison d’Autriche, les ministres exprimèrent l’espérance de terminer heureusement la guerre par une sûre et honorable paix, et ils laissèrent entrevoir la pensée que la mort de l’empereur supprimait le grand obstacle à l’avènement de Philippe V comme roi de l’Espagne et des Indes. Les deux chambres