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SYLVIE.

rubans passés, qui n’avait serré que bien peu les charmes évanouis de la tante. « Mais finissez-en ! Vous ne savez donc pas agrafer une robe ? » me disait Sylvie. Elle avait l’air de l’accordée de village de Greuze. « Il faudrait de la poudre, dis-je. — Nous allons en trouver. » Elle fureta de nouveau dans les tiroirs. Ô que de richesses ! que cela sentait bon, comme cela brillait, comme cela chatoyait de vives couleurs et de modeste clinquant : deux éventails de nacre un peu cassés, des boîtes de pâte à sujets chinois, un collier d’ambre et mille fanfreluches, parmi lesquelles éclataient deux petits souliers de droguet blanc avec des boucles incrustées de diamans d’Irlande ! « Oh ! je veux les mettre, dit Sylvie, si je trouve les bas brodés ! »

Un instant après, nous déroulions des bas de soie rose tendre à coins verts ; mais la voix de la tante, accompagnée du frémissement de la poêle, nous rappela soudain à la réalité. « Descendez vite ! » dit Sylvie ; et quoi que je pusse dire, elle ne me permit pas de l’aider à se chausser. Cependant la tante venait de verser dans un plat le contenu de la poêle, une tranche de lard frite avec des œufs. La voix de Sylvie me rappela bientôt. « Habillez-vous vite ! » dit-elle, et entièrement vêtue elle-même, elle me montra les habits de noces du garde-chasse réunis sur la commode. En un instant, je me transformai en marié de l’autre siècle. Sylvie m’attendait sur l’escalier, et nous descendîmes tous deux en nous tenant par la main. La tante poussa un cri en se retournant, « Ô mes enfans ! » dit-elle, et elle se mit à pleurer, puis sourit à travers ses larmes. — C’était l’image de sa jeunesse, — cruelle et charmante apparition ! Nous nous assîmes auprès d’elle, attendris et presque graves ; puis la gaieté nous revint bientôt, car, le premier moment passé, la bonne vieille ne songea plus qu’à se rappeler les fêtes pompeuses de sa noce. Elle retrouva même dans sa mémoire les chants alternés, d’usage alors, qui se répondaient d’un bout à l’autre de la table nuptiale et le naïf épithalame qui accompagnait les mariés rentrant après la danse. Nous répétions ces strophes si simplement rhythmées, avec les hiatus et les assonnances du temps, amoureuses et fleuries comme le cantique de l’Ecclésiaste ; — nous étions l’époux et l’épouse pour tout un beau matin d’été.

VII. — CHAALYS.

Il est quatre heures du matin ; la route plonge dans un pli de terrain ; elle remonte. La voiture va passer à Orry, puis à La Chapelle. À gauche, il y a une route qui longe le bois d’Hallatte. C’est par là qu’un soir le frère de Sylvie m’a conduit dans sa carriole à une solennité du pays. C’était, je crois, le soir de la Saint-Barthélémy.