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SYLVIE.

vert des fougères. Que tout cela est solitaire et triste ! le regard enchanté de Sylvie, ses courses folles, ses cris joyeux, donnaient autrefois tant de charme aux lieux que je viens de parcourir ! C’était encore un enfant sauvage, ses pieds étaient nus, sa peau hâlée, malgré son chapeau de paille, dont le large ruban flottait pêle-mêle avec ses tresses de cheveux noirs. Nous allions boire du lait à la ferme suisse, et l’on me disait : « Qu’elle est jolie, ton amoureuse, petit Parisien ! » Oh ! ce n’est pas alors qu’un paysan aurait dansé avec elle ! Elle ne dansait qu’avec moi, une fois par an, à la fête de l’arc.

X. — LE GRAND FRISÉ.

J’ai repris le chemin de Loisy ; tout le monde était réveillé. Sylvie avait une toilette de demoiselle, presque dans le goût de la ville. Elle me fit monter à sa chambre avec toute l’ingénuité d’autrefois. Son œil étincelait toujours dans un sourire plein de charme, mais l’arc prononcé de ses sourcils lui donnait par instans un air sérieux. La chambre était décorée avec simplicité, pourtant les meubles étaient modernes, une glace à bordure dorée avait remplacé l’antique trumeau, où se voyait un berger d’idylle oflrant un nid à une bergère bleue et rose. Le lit à colonnes chastement drapé de vieille perse à ramage était remplacé par une couchette de noyer garnie du rideau à flèche ; à la fenêtre, dans la cage où jadis étaient les fauvettes, il y avait des canaris. J’étais pressé de sortir de cette chambre où je ne trouvais rien du passé. « Vous ne travaillerez pas à votre dentelle aujourd’hui ?… dis-je à Sylvie. — Oh ! je ne fais plus de dentelle, on n’en demande plus dans le pays ; même à Chantilly, la fabrique est fermée. — Que faites-vous donc ? » Elle alla chercher dans un coin de la chambre un instrument en fer qui ressemblait à une loiigue pince. « Qu’est-ce que c’est que cela ? — C’est ce qu’on appelle la mécanique ; c’est pour maintenir la peau des gants afin de les coudre. — Ah ! vous êtes gantière, Sylvie ? — Oui, nous travaillons ici pour Dammartin, cela donne beaucoup dans ce moment ; mais je ne fais rien aujourd’hui ; allons où vous voudrez. » Je tournais les yeux vers la route d’Othys : elle secoua la tête ; je compris que la vieille tante n’existait plus. Sylvie appela un petit garçon et lui fit seller un âne. « Je suis encore fatiguée d’hier, dit-elle, mais la promenade me fera du bien ; allons à Chaâlis. » Et nous voilà traversant la forêt, suivis du petit garçon armé d’une branche. Bientôt Sylvie voulut s’arrêter, et je l’embrassai en l’engageant à s’asseoir. La conversation entre nous ne pouvait plus être bien intime. Il fallut lui raconter ma vie à Paris, mes voyages… « Comment peut-on aller si loin ? dit-elle. — Je m’en étonne en vous revoyant. — Oh ! cela se dit ! — Et