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mistress Douglas… N’avez-vous pas bien d’autres chiens à fouetter ?

« — Sans doute, madame ; mais il y a des momons où on est plus en train de travailler, d’autres au contraire où on est moins disponible. Et quand je me sens abattue ou mélancolique, en bien ! je me retire dans ma chambre pour y contempler les étoiles ou me livrer à la composition. »


Un nouveau tour est donné à la causerie. Chacun à son tour place Fleda sur la sellette, et chacune de ses réponses, même les plus insignifiantes, est commentée avec une remarquable avidité. On la met au pied du mur pour savoir si elle préfère le séjour de New-York à celui de Queechy. Ici, miss Lucy reprend la parole :

« — J’aimerais à parcourir plus d’un pays, dit-elle tout à coup, paraissant pour la première fois destiner ses précieuses remarques à l’attention spéciale de Fleda. Rien ne rend les gens aussi comme il faut. J’ai déjà remarqué ceci en plusieurs rencontres.

« Malgré tout ce que cette profession de foi pouvait avoir d’encourageant, Fleda ne se sentit pas en état de demander à Lucy si elle ne voudrait pas expérimenter par elle-même, chez les Rossitur, la justesse de son observation. Une nouvelle surprise lui était réservée. La première question que lui adressa Lucy fut pour savoir - si elle n’avait jamais étudié les mathématiques.

« — Non, répondit Fleda. Et vous ?

« — Oh ! moi… certainement. Nous étions ici quelques-unes qui voulions les apprendre, et il y a longtemps que nous avons mis cette étude en train. C’est, pour le développement de la pensée, la plus excell…

« Ici l’entretien fut brusquement interrompu par mistress Barns, la directrice des travaux, qui, voyant rentrer la troisième sœur :

« — J’espère, Hannah, s’écria-t-elle, que vous n’avez pas fait le pain avec ces mains noires que je vous vois.

« — En vérité, madame, répondit la jeune fille, je les ai d’abord bien lavées, puis j’ai fait le pain, et ceci même n’a pu les nettoyer comme il faut.

« — Est-ce que vous regardez les étoiles, vous aussi, Hannah ? demanda mistress Douglass, dont la question souleva un murmure moqueur et des rires étouffés… »


Fleda comprend bien qu’une servante si familière avec les sciences exactes ne lui serait pas une auxiliaire très utile, aussi se tient-elle pour battue encore une fois. Après quelques autres mésaventures, et à grand’peine vraiment, elle se procure une servante forte et laborieuse, la seule dans le pays qui lui paraisse en état de la seconder ; mais si Barby, — c’est le nom de ce trésor, — est une vaillante fille, remplie de ressources, ne s’embarrassant de rien, sobre, économe, infatigable, elle a peu l’habitude du monde, et dès le lendemain de son entrée en fonctions, ses façons familières mettent Fleda dans de fort graves embarras. En effet, lorsqu’elle a mis la nouvelle venue au courant de ses devoirs, la jeune ménagère croit pouvoir se reposer un peu de ses fatigues. Elle est dans le salon, avec sa tante, occupée