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de cette crise en un mot, c’est d’éclairer d’un jour nouveau cette question orientale qui préoccupe depuis si longtemps les esprits et qui n’est point finie, qui reste au contraire comme un aliment de complications sans cesse renaissantes, jusqu’au moment où il faudra que l’Europe se sonde pour prendre un parti.

Quelque certaine que soit devenue pour le moment une solution pacifique, il est évident, en effet, que la question d’Orient ne fait qu’entrer dans une phase nouvelle, ou sinon complètement nouvelle, du moins plus nette, plus tranchée, plus débarrassée d’élémens étrangers, et à ce point de vue, la dernière crise a une bien autre portée que la crise de 1840. De quoi s’agissait-il donc à cette époque ? Il s’agissait de savoir si un vassal du grand-seigneur aurait quelques territoires, quelques villes de plus ou de moins sous sa dépendance : s’il les aurait à titre viager ou à titre héréditaire. La politique française eut-elle réussi, les événemens ont bien prouvé que ce n’était point une combinaison menaçante pour l’avenir de l’empire ottoman, parce qu’elle le tenait au génie d’un homme, génie lui-même assez douteux. Quant à s’en prendre à la France comme à l’ennemie de l’intégrité de la Turquie, il est surabondamment démontré que, si cela était habile, de la part de la Russie, il y avait de la part de l’Angleterre une puérilité d’antagonisme peu digne d’un tel peuple. On pourrait dire aujourd’hui que c’était une question détournée de son sens, complètement obscurcie par des considérations étrangères. La véritable question d’Orient, c’est celle dont la crise présente vient de mettre à nu le caractère, et ce caractère permanent, profond, c’est d’être une lutte, — au point de vue religieux, entre l’église grecque orientale et le catholicisme occidental, — au point de vue politique, entre l’Europe et la Russie. C’est là toute la question sous son double aspect, (elle que les récens événemens l’ont posée et la laissent encore, telle qu’elle ressort des faits, des traditions de l’histoire, de toutes les données de la politique moderne. Si quelque chose peut rendre cette vérité palpable, c’est l’exposé substantiel et instructif qu’un homme compétent, M. César Famin, vient de consacrer aux affaires orientales sous le titre d’Histoire de la rivalité et du protectorat des églises chrétiennes en Orient. Ce ne sont point des déclamations ou des conjectures, ce sont des documens qui montrent l’enchaînement de ces deux ordres de faits, — les faits religieux et les faits politiques : d’un côté, la lutte des églises sur cet illustre et séculaire champ de bataille des lieux saints ; de l’autre, le travail obstiné de la Russie. Quels sont donc, les grands traits de cette histoire ? La vigueur primitive de l’islamisme va en s’épuisant, la décadence de l’empire ottoman, une fois commencée, se précipite ; la lutte religieuse des églises, inaugurée au berceau même du christianisme, se poursuit de siècle en siècle, et se résout en défaites successives pour l’élise latine, en progrès croissans pour l’église grecque ; l’influente politique occidentale se retire, soit par l’oubli des traditions, soit par suite des commotions du continent, et tandis que ces faits se développent, survient la Russie, qui se fraie un chemin vers la Mer-Noire et le Bosphore par la guerre ou par les traités, par la diplomatie ou par la force, pour finir par prétendre résumer en elle la prépondérance religieuse et la prépondérance politique, — toutes les deux également menaçantes pour l’Europe.

Quand nous parlons de la marche ascendante de l’église grecque et de ses