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ambitions nouvelles, ce n’est point un fait imprévu ; bien des esprits s’en préoccupent depuis longtemps déjà, et pour ceux qui attachent quelque prix à ces symptômes, il y avait assurément un singulier intérêt dans des pages que publiait cette Revue même il y a quelques années, et qui émanaient d’un des hommes les plus remarquables de la Russie[1]. L’auteur n’arrivait à rien moins qu’à annoncer la future absorption de l’église romaine dans l’église grecque, et, en parlant du voyage de l’empereur Nicolas à Rome en 1846, il signalait comme un fait providentiel le retour de « l’empereur orthodoxe » au berceau des apôtres après plusieurs siècles d’absence. C’est le dernier mot de cette marche ascendante dont nous parlons. C’est ce qui fait que la question des lieux saints, tout obscure qu’elle soit, n’est point pour cela une question secondaire. S’il ne s’agissait que de quelques sanctuaires et de quelques pauvres religieux se disputant les lieux où se sont accomplis les mystères du christianisme naissant, il est bien des esprits forts en politique qui n’y attacheraient qu’une médiocre importance ; mais en réalité, sous une forme religieuse, c’est l’image de la grande querelle qui divise aujourd’hui le monde. Cette histoire des lieux saints, telle que l’écrit M. Famin avec un zèle d’exactitude et de critique des plus attentifs, est même tout un drame curieux où se retrouvent tous les élémens de ce qui est devenu la question d’Orient. Que voit-on en effet ? Pendant des siècles, les Latins et les Grecs se disputent la possession et la garde de ce qu’on nomme les lieux saints de Jérusalem. Les Latins soutiennent la lutte le mieux qu’ils peuvent, ils ont pour eux l’incontestable antériorité de la possession, le droit confirmé par des actes nombreux ; les Grecs ont pour eux l’obstination, la ruse, souvent la violence ; chaque sanctuaire devient un champ de bataille. Entre les deux se tient le pouvoir turc, qui crée le plus étrange système d’équilibre et rançonne les uns et les autres en leur accordant ou en leur retirant successivement des privilèges toujours payés à prix d’argent. C’est de la nécessité de garantir le droit des Latins qu’est né le protectorat religieux de la France, formellement reconnu par les sultans et définitivement, consacré dans la dernière, capitulation de 1740. Tant que l’influence de la France s’est fait sentir, les Latins ont pu lutter sans un désavantage trop marqué ; l’intervention des agens diplomatiques français arrivait à temps pour les rétablir dans leurs droits. À mesure que l’influence de la France est devenue inefficace, ils ont perdu du terrain sans pouvoir le regagner, si bien que, de défaite en défaite, ils se sont trouvés successivement dépossédés de la plupart des sanctuaires sur lesquels ils avaient un droit reconnu. Lorsque, récemment cette question s’est réveillée, à quoi prétendait le gouvernement français ? Il ne demandait même pas l’exécution complète des stipulations du dernier siècle, qui fixaient le nombre des sanctuaires dévolus aux catholiques ; ses réclamations, accueillies d’ailleurs en partie, étaient infiniment plus modérées. Mais alors l’église grecque, héritière des pertes de l’église latine, avait eu le temps d’asseoir son ascendant, et derrière elle apparaissait la Russie, dont le protectorat, sous prétexte de couvrir la religion grecque, ne tendait à rien moins qu’à se substituer

  1. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1846, la Papauté romaine au point de vue de Saint-Pétersbourg.