le reste diffère, et la scène et le caractère, et la nature de l’action et la pensée première elle-même. Ce qui fait le mérite, des récits de M. Auerbach, c’est d’être une peinture fidèle des conditions populaires. Ce n’est pas le turbulent ouvrier des villes qu’il peint, c’est l’habitant du pauvre village perdu dans la Forêt-Noire, le bûcheron, le laboureur, le maître d’écolo lui-même, le malheureux qui émigre, et qui, dans sa patrie nouvelle, songe au lieu natal. Tous ces personnages vivent d’une vie réelle, il commencer par ce brave Tolpatsch, à la large figure et aux yeux bleus, gauche et amoureux, timide et assez lourd, bonne nature au fond. Il se fait soldat pour se façonner aux belles manières et plaire, à sa maîtresse, mais il perd sa maîtresse et il se trouve enrôlé ; le désespoir le fait émigrer en Amérique, où il n’oublie pas chaque année de célébrer la fête de Nordstesten, son village. Il y a dans l’une des scènes de M, Auerbach, — la Pipe de guerre, — un mot qui nous a frappés. L’auteur, dans un coin du tableau, montre les batailles de l’empire, le passage des années gigantesques dans la Forêt-Noire : « Le plus souvent, ajoute-t-il, tout ce magnifique spectacle ne coûtait pas autre chose au fortuné paysan que sa maison, sa ferme et même aussi pourtant quelquefois sa vie. » Ce serait là la meilleure épigraphe de la Guerre des paysans. Quel est donc le sujet choisi par M. Conscience ? C’est l’invasion du pays flamand par les années françaises de la république. Si M. Auerbach peint les paysans dans leur vie simple et rude de tous les jours, à peine entrecoupée d’incidens, M. Conscience les peint dans la lutte, s’armant pour leur foi, pour leurs coutumes, pour leur nationalité, pour leurs femmes ; il les montre emportant dans leur fuite leurs vieillards, leurs enfans et leurs blessés, et à travers ce triste tableau apparaissent d’héroïques figures de jeunes filles, comme Cenoveva. M. Conscience, comme on sait, s’est fait en Belgique le promoteur d’une réaction flamande principalement dirigée contre la France, et il est même souvent allé assez loin dans cette voie, ainsi qu’il arrive à tous ceux qui s’absorbent dans un sentiment trop local ; mais après tout, ce sentiment patriotique n’est-il pas un peu naturel ici ? On raconte souvent le côté éclatant des guerres, et ce sont les vainqueurs qui se plaisent dans ces récits ; on n’en montre point le côté lugubre et douloureux, celui que les vaincus seuls pourraient dévoiler : tout un peuple conquis et violenté dans ses plus chers instincts, les foyers dévastés, les villages livrés aux flammes. C’est ainsi par malheur que les invasions de la république ont laissé plus d’un germe de haine dans bien des pays et plus d’un embarras à la politique de la France. C’est le fruit de cet esprit de conquête tel qu’il est sorti, enflammé et armé, de la révolution pour se répandre sur l’Europe pendant vingt ans, et unir en nous laissant une situation territoriale diminuée.
Aussi bien, quand les révolutions commencent pour un pays, on ne sait pas où elles doivent conduire, ni comment elles finiront. L’Espagne, dans son histoire contemporaine, en a fait l’expérience. Est-ce donc que la révolution règne encore au-delà des Pyrénées, ou qu’elle menace de se réveiller ? Non, certainement ; mais la situation actuelle de la Péninsule n’est que la conséquence de toutes les péripéties par lesquelles elle est passée depuis vingt ans. Du reste, il faut le dire, cette situation offre un singulier caractère d’incertitude. Quelle est la tendance qui domine réellement ? Quelle est la politique