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le Portugal, choquait les intérêts ou les préjugés du commerce. La clameur de la Cité vint retentir jusque dans le parlement. Le bill pour l’exécution du traité fut rejeté le 18 juin 1713 à neuf voix de majorité.

Cet avertissement aurait dû faire réfléchir sérieusement les ministres ; il présageait un mouvement grave dans l’opinion ; ce n’était qu’un symptôme de la défiance qui planait sur leur tête. La nation avait pu sacrifier aux avantages de la paix l’arrogant espoir d’en dicter arbitrairement les conditions ; mais l’intérêt de la succession protestante lui tenait au cœur. La santé de la reine déclinait, et la question pouvait se poser d’un jour à l’autre. Les relations du torisme avec le jacobitisme et des ministres avec l’un et l’autre, le caractère d’Oxford et de Bolingbroke, dont l’un passait pour le plus faux des hommes et l’autre pour le plus audacieux, la faveur marquée qu’avait montrée au second le grand monarque ennemi de Guillaume III et des huguenots, la faiblesse et les penchans connus de la reine, le bruit accrédité de quelques intrigues occultes, de quelques rapprochemens suspects, enfin et surtout je ne sais quelle couleur générale répandue sur tous les actes du cabinet, et qui n’était pas celle du patriotisme, tout excitait, tout envenimait les soupçons du public. Si le prétendant avait fait imprimer une protestation assez peu connue contre le traité d’Utrecht, l’électeur de Hanovre ne l’avait pas approuvé davantage, et protestait par son abstention même. Des adresses où l’esprit jacobite se montrait ouvertement avaient été présentées à la reine par des Écossais et insérées dans les journaux du gouvernement. Les deux chambres y répondaient bien en demandant que l’on pressât le duc de Lorraine et toutes les puissances amies d’interdire leurs états au prétendant ; mais ces manifestations de loyauté étaient reçues froidement, la reine semblait n’y voir que des témoignages de défiance, et quand elle prorogea le parlement avant de le dissoudre, elle eut soin de recommander l’union, ce qui, dans la langue du pouvoir, veut dire la complaisance. Elle se plaignit qu’il y eût des gens qui n’étaient jamais contens du gouvernement, et que le parlement n’entendit pas bien les matières de commerce. On a observé que c’est à partir seulement du règne de George Ier qu’une sorte de mauvaise humeur a disparu des discours de la couronne. La sévérité de Guillaume III laissait percer dans son ferme langage le ressentiment de ce qu’il regardait comme les injustices ou les préjugés de son parti. Le ton aigre ou plaintif de la reine Anne avait tous les inconvéniens de l’indiscrétion sans le mérite de la franchise.

On arrivait ainsi aux élections générales (août 1713) après une année où la politique ministérielle avait eu son triomphe. C’est souvent un moment critique pour un cabinet. Une grande affaire à