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cent livres sterling ; après quoi, par un artifice de procédure, il s’arrangea pour rendre, non recevables en justice les témoins qui auraient pu trahir l’anonyme, et promit par proclamation royale, à qui ferait connaître le coupable, trois cents livres sterling de récompense. Cette comédie amusait Oxford et Swift, et ne trompait personne. La contrepartie fut jouée dans la chambre des communes. Dès le premier jour, Steele, ayant pris la parole, fut accueilli par ce cri : Tattler ! tattler ! (babillard ! babillard !) Chacune de ses phrases suscitait ces murmures blessans, ces interruptions moqueuses, que les majorités n’épargnent pas aux écrivains de l’opposition. « Ce n’est pas si aisé de parler à la chambre, » lui criait-on de toutes parts. Comme la reine avait dans son discours recommandé au parlement la suppression des libelles séditieux, on appliqua cette qualification à l’écrit de Steele, et l’on demanda son expulsion. Forcé de se défendre comme un accusé, il quitta sa place, comparut devant la chambre assisté par Addison, et il parla avec force et avec talent. Une discussion très animée suivit, où Walpole rétorquant l’accusation contre les écrivains jacobites que protégeait le ministère et caressait la cour, déploya cette violence éloquente qui ne lui manqua jamais dans l’opposition ; mais 265 voix contre 152 ordonnèrent l’expulsion de Steele. Son crime était d’avoir dit que la succession protestante était en péril sous la présente administration. La motion fut donc faite dans les deux chambres de déclarer que la succession protestante n’était pas en danger sous le gouvernement de sa majesté. Quelquefois les assemblées répugnent à affirmer ce dont elles ne souffrent pas la négation. La motion eut peine à passer. Elle passa cependant ; mais à la chambre des lords, là où Bolingbroke se défendait lui-même avec ce talent dont on parle encore, la majorité ne fut que de 12 voix, juste autant que le ministère avait nommé de nouveaux pairs. C’était une majorité apostée. C’est dans cette discussion que lord Anglesea, qui jusque-là avait appuyé les ministres, dit« qu’après avoir, sur leur parole, cru à une paix avantageuse et glorieuse, maintenant qu’il avait entendu leurs réponses, il demandait pardon à Dieu, à son pays, à sa conscience, ajoutant que s’il reconnaissait qu’il y eût eu perfidie, il poursuivrait un mauvais ministre du cabinet de la reine à la Tour, et de la Tour à l’échafaud. »

La chambre des lords, qui n’osait, en termes généraux, déclarer sa défiance envers le gouvernement, la témoignait par mille résolutions particulières. Ainsi elle s’interposa avec instance en faveur des Catalans, victimes de la paix d’Utrecht. Dès l’année 1705, l’Angleterre avait engagé ces populations à se soulever en faveur de l’archiduc Charles, avec promesse d’assurer à la paix la reconnaissance de leurs libertés. Ces hommes si jaloux de leurs privilèges avaient pris les