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malgré toutes anecdotes contraires, il n’y a jamais eu ni dessein formé d’écarter la succession protestante pendant les quatre dernières années de la reine Anne, ni parti organisé pour accomplir ce dessein à l’époque de la mort de cette princesse. Swift, dans tous ses écrits, dans toutes ses lettres, longtemps même après les événemens, répète cent fois la même chose, et nie d’une manière si absolue l’existence d’un pareil dessein parmi toutes les personnes attachées au gouvernement, qu’il a fini par inspirer à M. Hallam des doutes sur sa propre innocence. La preuve en effet qu’il donne avec le plus de confiance du néant d’un pareil complot, c’est qu’il n’en a rien su. La naïveté est grande assurément. Un historien judicieux, très attaché et plus que Swift aux principes de la révolution de 1688, Somerville, suivi en cela par le seul biographe de Bolingbroke, M. Cooke, a établi avec soin, non qu’il n’y avait point de parti jacobite, non que les vœux secrets de la reine n’étaient point pour ce parti, mais que le gouvernement n’a jamais donné les mains aux projets ni de la reine, ni des Stuarts, ni de leurs adhérens, et que la succession protestante n’a jamais été sérieusement en danger. Un écrivain français, qui connaît à merveille toute cette époque de l’histoire d’Angleterre, M. Grimblot, a tâché de démontrer par des documens nouveaux que lord Bolingbroke et même la reine n’avaient jamais songé sérieusement à une restauration, et à de très précieuses preuves, très ingénieusement discutées, il ne craint pas d’en ajouter une : c’est le caractère ouvert et généreux de Bolingbroke. Nous croyons malheureusement que le seul moyen de disculper les hommes d’état de cette époque de l’accusation de trahison, c’est d’insister sur la fausseté de leur caractère. Pour qu’ils n’aient pas trahi la maison de Hanovre, il faut qu’ils aient trompé les Stuarts, et leur fidélité n’est justifiée que s’ils démontrent leur duplicité.

On dit en effet pour leur défense que telle était la force et l’unité du parti whig, que le ministère de 1710 ne pouvait se soutenir, s’il ne réunissait toutes les fractions du parti tory. Or, si les tories n’étaient pas tous jacobites, les jacobites étaient tories, et comment rallier ceux-ci, à moins de leur donner des espérances ? Pense-t-on que, pour avoir reconnu une certaine analogie entre les vues du cabinet et leurs théories de gouvernement, ils se seraient empressés de lui prêter un gratuit appui ? Se donnaient-ils à si bon marché ? Est-ce l’usage des amis d’une dynastie détrônée que de soutenir une monarchie nouvelle, parce qu’elle est encore une monarchie, et de l’aider surtout à faire triompher une politique qui, en rentrant dans leurs idées, doit leur paraître d’autant plus propre à la sauver, par conséquent à perdre sans retour la dynastie opposée ? Leur penchant au contraire ne les porterait-il pas à s’allier au parti de l’autre extrémité, et à devenir républicains avec toute monarchie qui n’est