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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/973

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dans la famille Fox, établie à Hydesville, état de New-York, que les manifestations spirituelles ont commencé sous la forme de cognemens (rappings). Les hallucinations auxquelles ces bruits sont vraisemblablement dus, quand la fraude ne vient point au secours des esprits, se produisaient fréquemment chez les nouveaux jérusalémites. Le spiritualisme des Américains se rattache assez étroitement, on le voit, à leur millénarisme.

Du spiritualisme et du millénarisme aux nouvelles sectes américaines il n’y a plus qu’un pas à franchir. C’est sous l’influence en effet du millénarisme que l’idée d’une rénovation religieuse, qui doit précéder la fin du monde, s’est depuis plusieurs années emparée d’une foule de têtes. On rencontre en Amérique bon nombre de ministres qui, sans admettre une reconstruction complète de la religion, croient cependant que le temps est marqué pour une phase nouvelle : ce sont principalement des congrégationalistes et des universalistes. Plusieurs se sont déjà composé une théologie à leur usage, dans laquelle ils ont fait entrer les idées philosophiques modernes. On sait qu’en Amérique il suffit que la majorité des membres d’une communauté religieuse, adopte des principes nouveaux pour que la minorité, tout adhérente qu’elle soit à la doctrine primitive, se voie dépossédé de sa chapelle ; les exclus doivent aller chercher ailleurs une église plus orthodoxe. L’Écriture, s’est-on dit, n’a pas encore donné toutes les lumières qu’elle est appelée à fournir ; c’est une source qui est fort loin d’être tarie. Nous sommes en avant de Luther et de Calvin pour son intelligence, de même que ces réformateurs étaient en avant de saint Bonaventure et de saint Thomas[1]. Ces idées ont conduit à des dogmes en quelque sorte nouveaux, à des principes qui sont en complet désaccord avec le vieux protestantisme. Ces chrétiens progressistes, qui se rapprochent au reste beaucoup des latitudinaires, admettent que tous les hommes peuvent être sauvés, quelle que soit leur croyance. Ils ont renoncé au dogme redoutable de l’éternité des peines, et y ont substitué une sorte d’épuration graduelle de l’âme dans l’autre vie. — Nous mourons, disent-ils, chargés de souillures que nous ont laissées les fautes commises ici-bas, et, suivant le nombre et l’énormité de ces fautes, plus ou moins de temps nous est nécessaire, pour les expier, pour nous en laver, et arriver ainsi à la béatitude éternelle. — Voilà presque la substitution du purgatoire à l’enfer chez des protestans dont une des idées primitives les plus enracinées était la négation du purgatoire !

Le socialisme, qui s’est infiltré non-seulement en Allemagne et en France, mais en Angleterre et aux États-Unis, est venu en quelque sorte se greffer sur ce mouvement religieux. Comme il annonce une régénération sociale complète, une nouvelle ère pour la politique et les croyances en progrès sur le christianisme, il offre par là un point de contact tout naturel avec les doctrines mystiques dont Svedenborg a été le père. Le millénarisme sert merveilleusement son utopie, et l’Apocalypse lui fournit des prophéties, une sorte d’Évangile à son usage. On trouve en effet déjà de bonne heure chez les millénaires la plupart des théories qui ont reparu dans les diverses écoles socialistes ;

  1. Voyez à ce sujet le discours du pasteur Robinson, cité par M. Ch. Lyell dans sa Seconde Visite aux États-Unis.