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peintres, le don de l’expression vraie et le sentiment de la ligne harmonieuse. Cette chapelle est aussi suave aux yeux que féconde en pensées ; c’est la tendresse onctueuse de l’école ombrienne unie à la justesse et à la mesure d’un esprit français. Il ne manquait à un tel homme qu’un peu d’audace et de feu, ou plutôt il lui fallait un peu moins de modestie, nous dirions presque d’humilité. Que d’essais, que d’études, que de préparatifs, avant qu’il se jugeât digne d’aborder son sujet ! Ces innombrables croquis trouvés après sa mort, et en partie révélés au public par la main pieuse d’un ami, témoignent combien sa veine eût été abondante, si l’excès même de sa conscience ne l’avait comprimée. Quel contraste entre ce travail intérieur, absorbant toute une vie, et les outrecuidantes parades de quelques faiseurs d’aujourd’hui !

Nous ne saurions quitter Orsel sans prononcer au moins le nom de son ami, de son frère par le style et par le sentiment. Vis-à-vis de la chapelle de la Vierge, cette chapelle de l’Eucharistie, qui soutient si dignement une comparaison périlleuse, cette peinture, aussi douce, aussi touchante qu’un motet de Pergolèse, nous arrêterait malgré nous, si naguère, ici même, M. Perin n’avait reçu un juste et complet hommage que nos paroles jetées en passant risqueraient d’affaiblir[1]. C’est à une œuvre plus récente et dans une autre église, c’est aux peintures de Saint-Vincent-de-Paul, que nous consacrerons quelques mots. Déjà même il se fait tard pour en parler ; elles sont achevées depuis plus de trois mois, la critique a fait sa moisson, ne laissant après elle que de quoi glaner tout au plus. Aussi n’avons-nous dessein que d’adresser un remerciement public et à l’artiste persévérant dont les jeunes succès n’ont pas ralenti les efforts, et au maître courageux qui, presque au terme de la carrière, n’a pas craint de ressaisir ses pinceaux. Il faudra toutefois qu’à nos justes éloges se mêle quelque franchise : un compliment banal serait pour eux sans prix.

La première fois que nous vîmes ces peintures de Saint-Vincent-de-Paul, l’église était encore coupée en deux par des toiles : chaque artiste avait son domaine séparé. L’œil ne pouvait en même temps pénétrer dans la nef et dans l’abside. M. Picot travaillait à l’abside et M. Flandrin dans la nef. C’était un des derniers jours du Salon, nous sortions des Menus-Plaisirs ; les tons diaprés et discordans de ce pêle-mêle de tableaux nous poursuivaient encore ; nous étions comme étourdis de la bigarrure des idées, des genres, des méthodes : en entrant dans cette nef, nous sentîmes une impression de calme et d’harmonie. Ce n’était pas seulement un effet du contraste : le parti simple et grandiose adopté par le peintre nous avait saisi tout d’abord. On sait quel est ce parti, c’est la traduction pittoresque de cette idée :

  1. Voyez la Chapelle de l’Eucharistie dans la Revue du 1er janvier 1853.