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l’Evangile prêché aux nations leur a ouvert la voie du ciel. Le mystique chemin qui de la terre conduit au paradis, voilà ce qu’a voulu représenter M. Flandrin. Au centre de sa composition, c’est-à-dire à l’entrée de l’église, sous le buffet d’orgue, les deux princes des apôtres prêchent la parole de vie, et à leur voix les gentils convertis se dirigent vers les palmes promises, dans un grave et religieux cortège, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Cette longue chaîne de personnages, marchant dans un ordre hiérarchique et divisée par groupes, forme un ensemble à la fois symétrique et accidenté qui remplit admirablement la large frise ménagée dans cette église entre deux rangs de colonnes superposées.

L’idée de cette procession de bienheureux et de bienheureuses est une réminiscence. C’est à Ravenne que l’auteur l’aura conçue, là du moins s’en trouve un exemple dans l’antique et curieuse basilique de S. Apollinare Nuovo. L’artiste du VIe siècle ne s’est mis en grands frais, comme on pense, ni d’ajustemens pittoresques ni d’attitudes variées. Lui aussi, c’est le chemin du ciel, c’est l’église triomphante et son pèlerinage vers le trône du Sauveur, qu’il a voulu représenter. Vingt-cinq figures de martyrs, tous à peu près vêtus de même, portant tous une couronne à la main, et séparés les uns des autres par une palme ou un rameau de fleurs, voilà le côté droit de la nef ; vis-à-vis s’avancent dans le même ordre, et portant aussi leurs couronnes, vingt-deux vierges martyres ; en avant sont les trois rois mages, qui déposent au pied du trône de Marie leurs dons et leur encens. Rien de plus simple que cette mise en œuvre. Ces figures à peine variées de pose, de costume et d’expression, se succédant une à une à intervalles à peu près égaux, c’est de l’art primitif, traditionnel, hiératique ; mais au point de vue monumental, l’effet en est puissant. Toute cette frise est en mosaïque ; le dessin, sans être pur, ne manque pas de grandeur, et le travail de la mosaïque, par la vigueur de ses reflets, par son aspect solide et consistant, répand une énergie qui lui est propre sur tout l’ensemble de la décoration.

Dans la basilique parisienne, on ne pouvait emprunter que l’idée ; les moyens d’exécution devaient être tout différens. D’abord point de mosaïque et une église beaucoup plus grande et plus longue, dès lors nécessité de donner à ce cortège une tout autre importance et de le combiner tout autrement. Au lieu de figures isolées, anonymes, sans autre lien entre elles qu’une pensée commune qui les conduit au même but, ce sont des personnages de noms et de caractères différens, groupés et unis entre eux par certaines analogies, mais variés de pose, de mouvement et de geste aussi bien que d’âge et de costume. Voilà comment l’art moderne pouvait exprimer la pensée du mosaïste de Ravenne. En modifiant, en interprétant ainsi son