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combien à qui le chevalier de Saluces a ouvert la carrière et qui lui ont dû leur avenir ! combien de mérites ignorés il a découverts, révélés et acheminés au but ! M. de Salures avait un goût vif, éclairé et délicat pour les beaux-arts et pour toutes les choses de l’esprit, pour la littérature, et la poésie, qu’il cultivait avec un grand charme ; il se servait de sa haute position pour patroner tous les talens qu’il découvrait autour de lui.

En 1838, le général de Salures fit ses adieux à l’Académie militaire, cette institution, son œuvre, qui lui était si chère, en acceptant la charge de grand-maître de l’artillerie, qu’avait remplie son père, et que venait de remplir, avant de monter sur le trône, le roi alors régnant. Les honneurs qu’il méritait si bien, mais qu’il n’avait jamais cherchés, venaient à lui. En 1848, sentant le poids de l’âge et pour la première fois frappé par la maladie, il se retira de la vie active, que dans ce pays si heureux l’agitation et le bruit envahissaient aussi. Il demanda à la retraite un repos si bien gagné ; il s’y occupa à mettre en ordre quelques-uns de ses travaux et à les préparer pour la publicité. L’un de ses écrits, Souvenirs militaires des États sardes, écrit en Français, est prêt à paraître à Turin. La douleur des revers de son pays, des pertes de famille cruelles, les atteintes répétées de la maladie, troublèrent ce repos de l’homme de bien. Il passa une partie de l’été de 1853 retiré à la chartreuse de Collegno, près de Turin. Là, dans ses courses solitaires à travers ces admirables campagnes qu’il aimait tant, se recueillant en présence de cette riche et paisible nature dont il sentait si profondément le charme, il repassait dans sa pensée attristée les souvenirs de ceux qu’il avait aimés, mêlant sans doute aux regrets du passé la conscience d’une vie bien remplie et les espérances d’un saint avenir. Au commencement de l’automne, il voulut aller habiter le château de Monesiglio, antique manoir de sa famille à l’extrémité de l’antique marquisat de Saluces, et où par-dessus l’Apennin arrivent les brises de la Méditerranée. Là une plus douloureuse et plus grave atteinte de la maladie vint le frapper, et bientôt la mort se montra menaçante. Il fut ferme et doux devant elle, tel que la vie l’avait toujours trouvé. La religion, qui avait guidé sa vie, consola ses derniers instans, et le 6 octobre ce cœur si noble et si loyal cessa de battre. Sa dépouille mortelle repose avec celle de ses aïeux dans l’église de Saint-Bernardino, à Saluces, la vieille ville de sa maison.

Telle fut la vie de cet homme dont le caractère antique unissait aux vertus que l’on se plait à attribuer aux vieux âges ce que peuvent avoir de bon les temps nouveaux. Le général César de Saluces était doux et fort, chevaleresque et éclairé, dévoué à la tradition des ancêtres et sympathique à tous les progrès vrais, qui ne peuvent être salutaires et solides qu’en s’appuyant sur cette tradition. Appelé par son mérite et sa naissance à tous les honneurs, le descendant des vieux marquis souverains avait consacré sa noble vie à des labeurs souvent modestes, toujours utiles. On peut dire de ce digne représentant d’une illustre famille ce qui fut écrit de celui même en qui il crut et espéra : Pertransiit benefaciendo.


F. DE SYON.


V. DE MARS.