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Au moins ne pourra-t-il pas me faire mourir ! » Alors Hermès le déclare incurable dans sa folie, il invite les Océanides à se retirer pour que le bruit de la foudre ne leur fasse pas perdre l’esprit ; mais elles, soulevées à leur tour par un mouvement héroïque, refusent et veulent partager le sort de Prométhée. La terre est secouée, l’air mugit, les éclairs éclatent, des trombes font tournoyer la poussière, et le dieu tombe dans l’abîme en invoquant sa mère, sans cesser de se prophétiser immortel et de protester contre l’injustice.

La transaction et la délivrance faisaient le sujet du Prométhée délivré, qui ne nous est pas parvenu. Selon Hésiode, toujours hostile, si Prométhée fut délivré, c’est que Jupiter le voulut bien. Quoique irrité encore, il fit le sacrifice de sa colère pour ajouter à la gloire de l’Hercule thébain ; mais on a vu par la scène d’Hermès qu’Eschyle ne l’entendait pas ainsi. Ces deux forces se concilièrent par nécessité réciproque, et ce fut à Athènes que leur œuvre commune devait principalement s’accomplir. Ce fut en effet au bord du Céphise, selon la tradition athénienne, que Deucalion transforma les pierres en hommes, c’est-à-dire que la race de Prométhée se multiplia. Les Iones devinrent bientôt la population de l’Attique. Là aussi ce fut Prométhée qui d’un coup de hache fendit la tête de Jupiter, et en fit sortir Pallas tout armée : nouveau symbole, et l’un des plus ingénieux, qui exprime très bien que le culte et par conséquent la cité d’Athènes sont sortis de cette conciliation, un peu rude dans ses procédés. Dans les jardins de l’Académie, dans ce sanctuaire de la liberté d’esprit et d’interprétation des anciens dogmes, où tant d’idées furent remuées qui nous agitent encore, à l’entrée même de l’enceinte de Minerve, deux statues furent érigées en effet sur la même base, celle de Prométhée le supplicié et celle de Vulcain l’exécuteur, « et sur cette base, un même autel, dit Pausanias, leur était commun à tous deux ; mais Prométhée occupait la première place sous la forme d’un vieillard, tenant de la main droite un sceptre ; Vulcain, plus jeune, lui semblait subordonné. » Quelles images parlantes, et comme il est clair, par toutes ces circonstances, que les anciens attachaient à une foule de choses des significations qui nous échappent ! Prométhée, Vulcain et Minerve, qui les domine et les unit, semblent ici former la triade locale d’Athènes. C’était aussi aux fêtes de ces trois divinités qu’on faisait la course des torches : les coureurs partaient, la torche allumée à la main, de l’autel de Prométhée ; puis, en certains lieux de la ville, on se la passait, et celui-là était vaincu qui la laissait s’éteindre dans ses mains. Ainsi ce feu dérobé par Prométhée à ses vainqueurs, cette lumière de philosophie était considérée par ce peuple intelligent et poète comme un héritage confié à son génie, et qu’il devait propager et transmettre, comme il l’a transmis