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en effet. Ajoutons que cette torche de Prométhée s’allumait sur l’autel de l’Amour, et un ancien remarque qu’ici l’Amour, placé qu’il était sous les yeux et dans un sanctuaire de la vierge divine, n’a plus sa signification ordinaire. Peut-être l’appellerait-on aujourd’hui la fraternité des peuples.

Quel sens donnerons-nous donc au Prométhée d’Eschyle ? Quelle idée en extrairons-nous comme ayant été celle du poète, après avoir écarté les abstractions systématiques, après avoir cherché dans le texte même ce qu’il dit, en l’éclaircissant par sa propre suite et sa concordance avec lui-même, par les données historiques auxquelles la chronologie le rattache, par le culte et la popularité du principal personnage ? La conclusion nous semble déjà d’elle-même sortie de ce que nous en avons dit. Le fait général et permanent de l’histoire de la société grecque, la lutte, — nationale contre les Orientaux, intellectuelle contre un culte exotique, — qui a été l’œuvre de cette société tant qu’elle a vécu, et qui résultait de sa situation et de ses commencemens, ce fait, pris à son origine et représenté sous les grandes formes mythiques que les peuples donnent aux événemens primordiaux de leur histoire, voilà le sujet et la signification du Prométhée. Si d’autres idées, plus générales et plus en harmonie avec les dogmes religieux, ressortent de ce poème comme de tous les autres, surtout lorsqu’on les considère, dans leur enchaînement trilogique, c’est parce que le théâtre, sorti récemment des mystères, en imitait encore la forme hiératique ; mais les faits nationaux n’en étaient pas moins le sujet immédiat. Né d’une famille aristocratique, Eschyle, avec Pindare, son contemporain, a toujours été considéré comme l’une des autorités les plus sûres pour les traditions reculées. Dans ces anciennes familles, il y avait des traditions plus positives que parmi le peuple, et entre les initiés on apercevait, sous le voile de la légende, des faits réels dont il était convenu de ne point parler au vulgaire, comme cela se voit très bien par les réticences fréquentes et volontaires d’Hérodote et des autres historiens ; mais l’audacieux Eschyle soulevait le voile. Cette divulgation devenait d’ailleurs une nécessité du drame, car toute cette vieille mythologie n’est pleine que de la querelle des prêtres et des guerriers, tout autant que notre moyen âge ; et comment d’aussi grands esprits qu’Eschyle auraient-ils omis précisément l’idée fondamentale de leurs sujets poétiques, celle qui de leur temps les enveloppait encore de toutes parts, celle qui enfin, après avoir quitté la robe des muses, continua le même travail sous le manteau des philosophes jusqu’à l’avènement du christianisme ?