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société commerciale, se riraient à bon droit de mon ingénuité, si je tentais de les juger d’après les lois littéraires. Uniquement occupés d’amuser le public, ils ne souhaitent rien de plus et se moquent de toutes les poétiques. Pureté de la langue, vraisemblance des incidens. dessin des personnages, logique des caractères, autant de billevesées qu’ils ont depuis longtemps vouées au mépris. Pourvu qu’ils tiennent la curiosité en haleine, leur ambition est satisfaite, laissons donc en paix ces narrateurs infatigables qui se sont placés en dehors de la littérature ; qu’ils poursuivent sans relâche l’exploitation de leur industrie : nous ne les troublerons pas dans leurs travaux, où l’art n’a rien à voir. Pour tracer une image fidèle du roman, c’est ailleurs que nous devons jeter les yeux. Nous prévoyons les plaintes de tous les ouvriers dont nous ne parlerons pas, et nous nous résignons d’avance, sans amertume et sans dépit, aux reproches qu’ils ne manqueront pas de nous adresser. Si nous avions le malheur de les craindre, nous n’arriverions à formuler qu’une pensée presque insaisissable ; il vaut mieux accepter l’accusation d’injustice et passer sous silence les denrées qui se donnent pour des œuvres et qui encombrent le marché. Le public nous saura gré de nos omissions, car la discussion gagnera en précision, en clarté, en évidence, ce qu’elle perdra en étendue.

Pour discuter avec quelque profit, pour ne pas jeter au vent des paroles inutiles, il faut se trouver aux prises avec une idée nettement définie, clairement développée. Or, parmi les romans publiés chaque année, combien y en a-t-il qui satisfassent à cette double condition ? Je laisse au public le soin de résoudre la question, Si les œuvres sérieuses, écrites de bonne foi, n’étaient pas si rares, la tâche de la critique serait infiniment plus facile : n’étant plus réduite à deviner l’intention de l’auteur, elle pourrait parler sans amertume et sans dépit ; mais comment traiter avec indulgence, comment étudier avec attention, comment lire jusqu’au bout, sans impatience, des récits dont tous les incidens combinés au hasard semblent un défi porté à toutes les lois de l’intelligence ? En parcourant ces pages improvisées avec tant d’insouciance, la critique ne sait vraiment on se prendre, et ce qu’elle a de mieux à faire, c’est de s’abstenir.

L’auteur d’Indiana et de Valentine bien qu’il abuse de ses riches facultés, ouvre du moins un champ large à la discussion. Aussi est-ce pour nous un devoir d’étudier ses derniers romans. S’il ne développe pas toujours d’une manière très logique l’idée qu’il a conçue, il lui arrive rarement de ne pas intéresser. Il excelle dans la peinture du paysage, et ses personnages, sans être toujours vrais, sont tracés d’une main énergique. Lorsqu’il exprime des pensées paradoxales,